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22.11.2023 - N° 1.457

Entre collectivisme et individualisme :
un nouveau regard sur l’immigration

6 minutes de lecture
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JoD a écrit le 19 novembre à propos de "L’Agirc-Arrco doit-elle contribuer au financement
du déficit du système des retraites français ?" paru le 13 novembre 2023.

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Par Christian Michel

Après bien des années formatrices dans le monde de la finance, Christian Michel écrit, enseigne et organise des événements à Londres, où il réside.



Christian Michel réagit à deux articles récemment parus traitant de la question de l’immigration, et plaide pour une approche libérale fondée sur une approche individualiste plutôt que collectiviste.

Une question ardue qui agace les consciences politiques à travers le monde est celle de l’immigration. Il faudra bien lui trouver une solution. Ou alors s’accommoder de celle qui sera imposée, car avec les dérèglements du climat, les différences de développement et de taux de natalité entre pays, les mouvements transfrontaliers de populations vont s’amplifier.

Il n’y a que deux façons de poser le problème.

La façon collectiviste ignore les individus. Le collectivisme postule une entité au-dessus des êtres humains, érigée en valeur suprême. Selon les lieux et les époques, cette entité s’appelle vraie religion, souverain, nation, peuple, révolution, et maintenant son nom usuel est civilisation, mais la relation avec les êtres humains est toujours la même. En cas de conflit, l’entité prévaut. Pour le collectivisme, c’est son essence, l’organisation de la société se définit en termes kantiens de fin et de moyens. La fin, c’est la défense de la société, du collectif, de l’entité qui devient une idole. Les êtres humains sont le moyen de cette défense, les êtres humains sont des instruments. Ils n’ont de liberté que lorsque celle-ci ne rencontre pas les intérêts de l’entité supérieure.

L’individualisme, au fondement de la pensée libérale, renverse la proposition. Chaque personne humaine est une fin en soi. Elle ne peut cependant s’épanouir qu’au sein d’une société où elle trouve, d’une part, une culture, une langue, une science, une compréhension du monde ; et d’autre part, le commerce, la possibilité de se procurer une multitude d’objets que nul ne saurait produire isolément. La société est donc le moyen, l’instrument, que chaque être humain utilise pour s’accomplir.

L’immigration influe sur la société d’accueil. Oui, et alors ?

Les deux approches, totalement incompatibles, sont illustrées par les articles de Claude Sicard et d’Yves Montenay dans un numéro récent de Contrepoints.

L’article de M. Sicard, « Islam et République : une cohabitation impossible ? », bien documenté sur la naissance de l’islamisme, du salafisme, du frérisme, et sur le danger de ces mouvances pour l’Occident, conclut avec ce funeste auspice : « C’est ainsi que meurent les civilisations. »

Sans doute. Et alors ? Tout ce qui est vivant, par définition, change et finit par mourir. L’Occident d’aujourd’hui n’est pas celui de la féodalité, de l’Ancien Régime, de la bourgeoisie triomphante et de la Belle Époque. Paul Valéry le rappelait après la boucherie des tranchées, dans un article mémorable de 1919, La crise de l’esprit : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Valéry était pessimiste. Un siècle plus tard, notre civilisation est toujours là – mais inévitablement changée. Les apports extérieurs, les avancées technologiques, le renouvellement des générations sont transformateurs.

Peu de gens, et très peu de jeunes, souhaitent geler l’Histoire à son point actuel. Ils ne renoncent pas au progrès. Ils accueillent l’imprévu. Ils ne refusent pas un monde qui sera demain différent de ce que M. Sicard – et moi – préférons. Mais par quelle autorité nous opposerions-nous au désir des gens de changer leur vie ? En Occident comme ailleurs. Pacifiquement. Car tout religieux n’est pas fanatique, tout étranger n’est pas criminel.

Refuser, même limiter, l’immigration au nom de la civilisation, ou pour sauver la culture française, ou toute entité postulée supérieure aux individus, en s’opposant à leur souhait, c’est du collectivisme. Pur et simple. C’est donc une position foncièrement illibérale.

Dès qu’on accepte le sacrifice d’êtres humains à une idée, on se prive de toute réponse cohérente à ceux qui veulent les sacrifier à une autre idée. On est réduit aux affirmations stériles : « Ta culture ne vaut pas la mienne », « Mon Dieu est supérieur au tien » …

La question n’est pas d’interdire l’immigration, ni même de la limiter. Elle est de préciser la relation entre les personnes qui quittent un pays et celles qui les accueillent dans un autre pays. L’immigré est-il attendu ? Son arrivée est-elle souhaitée ?

Une immigration choisie – mais c’est nous qui choisissons

Je suis pour une « immigration choisie ». Mais en bon libéral, je maintiens que ce n’est pas à l’État de choisir (comme si – selon la formule usuelle – l’État savait mieux que les habitants eux-mêmes ce qui est bon pour eux). C’est à des hommes et des femmes, par-dessus les frontières, de s’entendre pour établir entre eux une relation pacifique, fructueuse et épanouissante.

Sur ce point précis, je suis en désaccord avec la conclusion de l’autre article paru le même jour que celui de M. Sicard, la contribution au débat d’Yves Montenay, « Islam et immigration, un reniement libéral ». Pour M. Montenay, chacun devrait pouvoir se déplacer où bon lui semble, ici ou à l’étranger, sans condition. Mais ce n’est pas ainsi, en temps de paix, que les gens bougent. Au sein de mon pays, je ne quitte pas chez moi sans avoir un point de chute, sans l’assurance de ne pas passer mes nuits dehors. Là où je vais, quelqu’un m’attend, un ami, un employeur, ou encore une chambre réservée que j’ai les moyens de payer. Pourquoi admettrait-on d’étrangers ce que nous ne permettons pas à nous-mêmes ? Nationaux ou étrangers, les gens sont bienvenus seulement là où ils sont attendus.

Je parlerai ici des Français, mais la proposition vaut pour chaque population d’accueil. Il appartient aux êtres humains, individuellement, de décider qui va vivre avec eux dans leur famille, qui va travailler avec eux dans l’entreprise qu’ils possèdent, qui va séjourner dans leur hôtel, leur gîte ou leur camping, que ce soit d’autres Français ou des étrangers.

N’est-il pas humiliant de devoir quémander un visa auprès d’un obscur gratte-papier au fond d’un consulat pour que vienne chez moi mon petit ami du Brésil, ma maîtresse de Thaïlande, un comptable indien ou un cuisinier chinois (pour abuser de ces méchants clichés) ? N’est-ce pas un outrageant abus d’autorité que les plus simples relations humaines d’amour, d’amitié et de coopération soient soumises à une autorisation administrative ?

Et pourquoi ? Pour satisfaire aux idoles de la nation, de la civilisation, de la culture, de la pureté du peuple de France ? Plus localement, en quoi mes voisins auraient-ils à élever une quelconque objection au séjour d’étrangers chez moi ? Et si je peux faire venir qui je veux chez moi, pourquoi n’enverrai-je pas cent billets d’avion à cent travailleurs étrangers pour qu’ils viennent cultiver mes champs ou faire tourner mon atelier, dans le respect du Code du travail ? Quel libéral pourrait-il logiquement s’y opposer ?

Le marché, pas les trafics

Ainsi, plutôt que récupérer sur nos plages des miraculés qui ont échappé au naufrage et à la rapacité des passeurs, ne devrait-on pas encourager l’ouverture dans les pays d’émigration d’agences de recrutement, mandatées par des entreprises et des particuliers pour trouver la main-d’œuvre qui leur manque, et manquera toujours plus aux vieillissants pays riches.

Le jour de leur arrivée, ces immigrés souhaités ont un emploi, et le conjoint aussi, un logement, une place à l’école pour les enfants, tous les papiers en règle. Ils ne sont à la charge de personne. On se fiche de savoir s’ils sont « réfugiés économiques » ou « réfugiés politiques » (la plupart de ces derniers mentent pour obtenir ce statut, puisqu’on leur refusera l’autre). Seul importe que ces personnes arrivent dans le pays parce qu’elles y sont attendues et qu’elles ont quelque chose à y faire.

Le Royaume-Uni, où j’habite, applique la politique d’immigration la plus sotte. Le pays ne délivre de permis de travail qu’aux étrangers qui justifieront d’un salaire de 34 600 livres, soit près du double du salaire minimum. Ce haut niveau relatif exclut l’emploi d’immigrés dans les travaux agricoles, l’hôtellerie, la restauration, le gardiennage, et tant d’autres de ces métiers essentiels, depuis la voirie jusqu’à l’entretien. Une entreprise pourra donc faire venir de l’étranger une chimiste ou une informaticienne grassement payée, mais devra laisser partir des Britanniques tout aussi qualifiées, parce que les soins du ménage et des enfants reposent encore sur elles, et elles ne peuvent se faire aider par une employée de maison ou une nounou.

On n’ouvre pas les bras seulement à ceux qu’on aime et à ceux qui travaillent. La guerre et la misère forcent des populations entières à chercher ailleurs les conditions de leur survie. Dans les pays riches, une fonction dévolue aux associations caritatives, aux Églises, aux communautés déjà installées devrait être d’offrir l’asile, grâce aux dons recueillis, à ces malheureux.

On croit aux bienfaits de la liberté, ou on n’y croit pas

Le libéralisme est un acte de foi. Il est providentiel. Tous les penseurs libéraux font la même analyse. Une société d’êtres humains libres change, elle évolue, non selon un plan établi, mais parce que chacun menant sa propre vie amène ce changement. Il n’est ni planifié, ni anticipé — « the product of human action, not of human design » , répétait Friedrich Hayek, citant Adam Ferguson. « En ne cherchant que son intérêt personnel, écrivait encore Adam Smith, décrivant le mécanisme de la main invisible, [l’être human] travaille souvent d’une manière plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler ».

Ce lâcher-prise paraît effrayant, mais la volonté de contrôle est stérilisante. Laissés libres, les individus vaquent à leurs occupations, ils font ce qu’ils ont à faire, ils mêlent des étrangers à leur vie et à leur travail, et ils changent la société et sa culture. Ce n’était pas leur intention.

Personne ne sait ce qu’apportera cet exercice de leur liberté. Mais on connaît le mal immédiat et durable que causent les politiques qui entravent cette liberté.



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