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23.05.2025 - N° 2.003 5 minutes de lecture
La politique solaire et éolienne du gouvernement menace la fiabilité de notre réseau électrique Par Vincent Bénard Vincent Bénard est ingénieur en génie civil et aménagement du territoire, et analyste économique. Il est l’auteur de deux ouvrages et de nombreux articles sur les effets des interventions économiques publiques, notamment dans le domaine du logement.. ![]() La
politique énergétique française prévoit d’ici à 2035 un déploiement
massif de centrales électriques solaires et éoliennes. Le récent
blackout en Espagne montre que cette stratégie est dangereuse pour
notre sécurité énergétique.
Un réseau électrique fonctionne en équilibre permanent : à chaque seconde, la production doit correspondre à la consommation. Cet équilibre se traduit par la fréquence du courant alternatif, maintenue à 50 Hz. Si l’offre dépasse la demande, la fréquence monte, dans le cas contraire, elle baisse. Cet équilibre est vital. Même une variation de ±0,5 Hz, minime en apparence, peut, si elle dure trop longtemps, engendrer des phénomènes vibratoires ou thermiques risquant d’endommager gravement le réseau électrique ou les équipements de ses clients. Or, des déséquilibres temporaires sont inévitables : la demande varie constamment, des pannes se produisent, etc. La résilience est donc une exigence permanente du réseau. L’équilibre est vital, les déséquilibres inévitables : comment alors se défend le réseau ? Pour éviter tout dégât majeur, les réseaux ont plusieurs niveaux de défense. Le premier est leur inertie. Les centrales classiques (nucléaire, gaz, charbon, hydro) produisant l’électricité par rotation de turbines apportent une inertie mécanique qui permet de lisser ces variations. Grâce à elle, ces centrales amortissent en quelques secondes les variations de l’équilibre offre/demande et ainsi ont le temps d’adapter la puissance de leur générateur pour ramener en permanence la fréquence du réseau au plus près de 50Hz. A contrario, les ENR intermittentes ne sont pas pilotables, sinon par un mode « on/off ». Elles ne permettent donc pas d’opposer une force d’inertie stabilisatrice si un fort déséquilibre survient. Lorsque l’inertie n’est plus suffisante pour absorber une baisse de production ou de demande inopinée, des automatismes déclenchent des délestages : on coupe la livraison à certains consommateurs pour éviter l’effondrement global. Si cela ne suffit toujours pas, une coupure de sécurité ordonnée de l’ensemble du réseau peut être une solution. Si cette coupure ordonnée n’était pas possible, l’effondrement du réseau se produirait de façon désordonnée et provoquerait les dégâts importants évoqués précédemment. Le terme souvent employé de blackout concerne aussi bien des coupures générales ordonnées que des effondrements de réseau fort heureusement bien plus rares. Le blackout espagnol L’événement déclencheur du récent incident espagnol n’est pas encore connu, mais l’hypothèse la plus probable sur sa propagation à toute la grille électrique est que ce jour-là le fort ensoleillement, couplé à une demande basse, a poussé les producteurs à mettre au repos leurs centrales classiques. Juste avant l’incident, 78% du courant ibérique provenait de sources non pilotables et 66% du solaire. L’inertie présente sur le réseau était donc basse, et sans doute trop faible pour absorber un incident déséquilibrant soudainement le rapport offre/demande. Le dernier rapport du gouvernement espagnol indique qu’entre la première perte d’une station et la chute totale de la grille, seulement 27 secondes se sont écoulées. Plus encore, alors que la demande globale était de 25GW, seuls 2,2 GW ont été perdus lors des 20 premières secondes dans le sud du pays. Toutes les déconnexions de sécurité restantes se sont déclenchées sur tout le territoire dans les 7 secondes qui ont suivi. Ces délais très courts accréditent l’hypothèse d’une inertie insuffisante. Le déclenchement en cascade des coupures de sécurité a cependant plutôt bien fonctionné. L’incident espagnol est donc une coupure générale ordonnée et non un effondrement chaotique du réseau. Le redémarrage a pu avoir lieu en 24 heures. Ce sont les énergies pilotables qui ont été la clé de ce redémarrage réussi, les centrales gaz contribuant à 50% de la production le lendemain de la coupure. En France, selon la SFEN, les centrales nucléaires, à forte inertie, ont joué un rôle important pour empêcher la propagation de la panne au réseau électrique français. Le déploiement du solaire et de l’éolien augmente les risques sur le réseau Toutefois, un déploiement à marche forcée de renouvelables non pilotables est inscrit dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) du gouvernement. Celle-ci prévoit que d’ici 2035, la puissance installée comportera au moins 75 GW de solaire, 35 GW d’éolien terrestre et 18 GW d’éolien en mer. Cela peut engendrer la multiplication de situations nous rapprochant de celles vécues par l’Espagne. Imaginons une journée typique d’été en 2035 : ciel dégagé sur toute l’Europe, vent modéré. À midi, en France, 75 GW de solaire installés produisent au maximum, l’éolien varie en permanence entre 5 et 10 GW : au moins 80 GW sont potentiellement injectables dans le réseau avec une régularité moyenne à cause du vent. Mais en cette saison, la demande est actuellement comprise entre 28 et 32 GW. Elle pourrait augmenter d’ici 2035, mais pas au-delà d’environ 35GW. Ce jour-là, en plein été, les exportations sont impossibles : tous nos voisins sont eux aussi en surproduction solaire. De plus, aucun des dispositifs envisagés pour lisser les pics de production des ENRi n’est réellement économiquement déployable à grande échelle (STEP, batteries, électrolyse de l’hydrogène, etc.), leur prix est prohibitif et certains sont encore loin de leur maturité technologique. Résultat : lors d’une telle journée, l’excédent de puissance non modulable potentiellement déchargée dans le réseau dépasserait 40 GW. C’est rigoureusement impossible, le réseau serait détérioré bien avant. Les seuls recours seraient alors :
Conséquences économiques : l’électricité toujours plus chère et moins fiable ! Les risques identifiés ne sont pas seulement techniques : l’économie de l’électricité sera également affectée, et cela contribuera sans doute à renforcer l’instabilité du réseau. Dans une situation de surproduction, les prix de gros de l’électricité chutent en territoire négatif : les producteurs doivent payer pour injecter leur courant sur le réseau. Tant que la subvention reçue par les ENRi couvre le prix négatif, leurs producteurs n’en souffrent pas excessivement. Les centrales pilotables subissent une perte financière plus importante. En effet, dans cette situation, leur seuil de marge brute positive est bien plus élevé que pour les ENRi, dont les coûts variables de production sont plus faibles. Le gaz ou le nucléaire doivent donc être désactivés en priorité. Au risque, évidemment, que l’inertie nécessaire à stabiliser le réseau ne devienne insuffisante. Ces épisodes de prix négatifs sur les différents marchés européens, rares avant 2015, ont explosé en 2023 et 2024 en Europe (graphiques ci-dessous) et l’on peut craindre que l’ajout massif d’ENRi sur le continent n’accélère ce phénomène. ![]() Nombre et % d’heures de prix de gros négatifs sur le marché français. (Source: CRE) ![]() Nombre d’heures cumulées de prix négatifs sur les marchés européens (Source: Selectra)
Dans ces conditions, les centrales pilotables à inertie indispensables à la stabilité du réseau ne sont plus correctement rémunérées, et donc l’intérêt d’investir dans ces centrales chute. Cela crée un cercle vicieux d’insécurité croissante de notre approvisionnement électrique. Le seul moyen de financer les pertes d’exploitation entraînées par ces surcapacités est de surtaxer l’utilisateur final. Voilà pourquoi deux pays en pointe sur le déploiement des ENRi, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ont une électricité bien plus chère que la nôtre. Conclusion Un réseau électrique fiable et économiquement viable ne peut pas reposer sur des sources incontrôlables qui produisent n’importe quand sans correspondre aux besoins. La Stratégie nationale bas carbone est une fiction coûteuse. Le seul choix rationnel pour le futur de notre approvisionnement électrique serait de mettre fin immédiatement au déploiement d’ENRi supplémentaires,
et de se concentrer sur l’amélioration des moyens de production électriques stables, durables et pilotables. ______________
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