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16.05.2025 - N° 1.997
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Mourir à la maison

Par Gaspard Koenig


Gaspard Koenig est philosophe et essayiste. Chroniqueur aux « Echos », il mène une réflexion sur le libéralisme moderne, qu’il prolonge à travers le groupe de réflexion GenerationLibre dont il est le fondateur. En janvier 2022, il se lance en outsider dans la course à l’élection présidentielle, sous l’étiquette politique de son parti, Simple.
.



Gaspard Koenig a veillé sa mère dans ses dernières heures.
A partir de cette douleur très intime, il propose une réflexion
sur la manière d'accompagner la fin de vie.


A l'heure où les unités de soins palliatifs concentrent tant de critiques, il faut saluer l'hospitalisation à domicile, un service public qui marche, insiste Gaspard Koenig, qui rend hommage à la dévotion et au professionnalisme des soignants.

Les débats sur la fin de vie portent essentiellement sur une question : quand ? On en oublie une autre, non moins importante : où ?

J'ai eu l'immense douleur, à la fois la plus universelle et la moins partageable, de perdre ma mère la semaine dernière. Dans ce pire du pire, il y eut un mieux. Une fois que toute perspective thérapeutique fut abandonnée, mon père et moi avons pu extirper ma mère de l'hôpital afin de lui permettre de vivre chez elle ses derniers jours, au milieu de ses polars, de ses chats et de son jardin. Nous nous sommes relayés à son chevet, travaillant à ses côtés, invitant des amis, lui faisant sentir une branche de lilas, lui racontant les histoires du moment, humectant ses lèvres de ce champagne qu'elle aimait tant. Nous avons caressé ce corps dont la vie partait. Nous avons recueilli ses derniers mots et son dernier souffle.

Veiller

J'ai alors compris le sens de cette pratique ancestrale occultée par la modernité : la veillée. Celle de Charles Bovary tenant les mains d'Emma ou des âmes fortes de Giono papotant autour du lit de mort. Veiller, ce n'est plus soigner, et ce n'est pas encore pleurer. C'est simplement être présent. Accompagner, embrasser, bercer. Maintenir jusqu'au bout un filet de lumière dans la nuit qui vient. C'est sans doute, pour ceux qui partent, quand bien même ils sombrent dans l'inconscience, un réconfort. C'est aussi, pour ceux qui restent, une manière de regarder la mort en face, dans sa matérialité la plus dérangeante. On a tout le loisir de dire ce qu'on n'a encore jamais dit. En retour, les souvenirs affluent d'eux-mêmes. Ils ne sont pas encore figés. Ils décantent. Ils trouvent comme un dernier écho. Dans ces journées entre chien et loup, le travail du deuil commence.

Veiller, c'est aussi être ré-veillé. On ne dort pas beaucoup quand les heures sont comptées. On attend sans espérer. Le temps n'est plus celui des agendas et des deadlines (quel drôle de mot !), mais un présent sans cesse renouvelé, qui se confond avec le rythme d'une respiration fragile, ténue, précieuse. Les vivants doivent se rendre disponibles pour être à la hauteur de cet événement unique. Sinon, on prend le risque de rater la mort, comme Lisa, la fille d'Ivan Ilitch, qui ne pense qu'à partir au bal alors que son père agonise. Il faudrait écrire la suite de cette nouvelle de Tolstoï. Que devient Lisa ? Comment survit-on à la honte d'avoir préféré la vie ?

Hospitalisation à domicile

Cette veillée si salutaire n'aurait pas été possible sans les services de l'HAD (hospitalisation à domicile), option « soins pal » (palliatifs). J'aimerais leur rendre hommage. Le matériel et les médicaments furent livrés en temps et en heure. Les aides-soignants venaient deux fois par jour pour assurer une toilette dont nous aurions été incapables. Une infirmière passait quotidiennement pour ajuster les doses de produits antidouleur. Un médecin de garde restait accessible au téléphone vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Comme beaucoup d'HAD, celui dont nous relevions localement était une petite structure à taille humaine, où les soignants se connaissent, communiquent entre eux et ajustent leur programme si besoin. Leur attention, leur délicatesse, leur humanité furent sans faille.

"Je suis philosophiquement favorable au projet de loi sur la fin de vie,
qui permet à chacun de choisir son heure, exercice ultime de la liberté humaine dans la pensée stoïcienne."


Le recours à l'HAD augmente trop timidement depuis sa légalisation en 1970, avec aujourd'hui à peine plus de 150.000 patients par an, dont le plus grand nombre se trouvent en fin de vie. A l'heure où les unités de soins palliatifs concentrent tant de critiques, il faut saluer un service public qui marche et souhaiter qu'il se généralise. On peut aujourd'hui mourir à la fois chez soi et sans douleur. Finir sa vie comme une personne pleine et entière, parmi les objets, les gens, les ambiances qui lui ont donné un sens, plutôt que de s'éteindre subrepticement dans la valse des chariots de plateaux-repas. N'est-ce pas un progrès ? L'hôpital doit rester autant que possible le lieu du traitement. Sans compter que l'HAD coûte trois fois moins cher à la Sécurité sociale qu'une chambre au CHU…

Comment donc expliquer que, selon l'Insee, deux tiers des décès surviennent encore dans une chambre anonyme, au sein d'un hôpital ou d'un Ehpad, alors même que l'écrasante majorité des Français souhaiteraient mourir à la maison ? Il existe bien sûr de nombreuses circonstances où un rapatriement au domicile s'avère impraticable, et des territoires où l'offre d'HAD reste encore trop peu développée. Mais les autres ? Pourquoi se résout-on à les laisser mourir loin de leur foyer ? Qui fuit cet ultime devoir humain ? Dans quelle société abandonne-t-on les malades et les anciens ? Avons-nous si peur de la mort, dévorés que nous sommes par la promesse de jouissance perpétuelle, que nous la déléguons à l'Etat-Providence, chargé de fournir un numéro de chambre, un dossier médical et un certificat de décès ?

Liberté humaine

Je suis philosophiquement favorable au projet de loi sur la fin de vie, qui permet à chacun de choisir son heure, exercice ultime de la liberté humaine dans la pensée stoïcienne. Je regrette d'ailleurs que l'on présente politiquement le développement des soins palliatifs comme une alternative à l'aide à mourir, alors que les deux participent d'une même logique.

Mais aucun de ces dispositifs ne saurait nous dispenser d'une réflexion plus intime sur la manière dont nous souhaitons veiller nos proches,
quels que soient le moment et la méthode dont ils décident.
Ne les laissons pas partir seuls.


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