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30.04.2025 - N° 1.981
  4 minutes de lecture


L’intelligence artificielle permet de supprimer des emplois publics… sauf en France

Par Philbert Carbon


Philbert Carbon est chargé d’études
à l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF)..





A la suite du Sommet pour l’action sur l’IA qui s’est tenu à Paris en février 2025, le Gouvernement a lancé, le 7 avril 2025, un appel à manifestation d’intérêt autour de solutions « sur étagère » d’intelligence artificielle générative pour le secteur public. Quels buts poursuit-il précisément ?

L'objet de cet appel à manifestation d’intérêt (AMI) est d’accélérer la transformation des administrations publiques par le renforcement du recours aux technologies de l’intelligence artificielle générative (IAG).

Il faut dire que l’intelligence artificielle (IA) peut faire des miracles. La banque publique d’investissement Bpifrance estime, par exemple, qu’elle offre 7 avantages pour les entreprises : amélioration de la productivité, optimisation des ressources et réduction des coûts, meilleure prise de décision fondée sur l’analyse des données, amélioration de la relation client et personnalisation, renforcement de la cybersécurité, optimisation de la chaîne logistique, développement de l’innovation.

De toute évidence le secteur public aurait, lui aussi, grand besoin de bénéficier de ces avantages. Et l’on se prend à rêver d’une administration subitement devenue performante grâce à l’IA, avec des effectifs réduits, des processus simplifiés, des règlements devenus lisibles, des délais de traitement raccourcis, etc.

Et si l’IA rendait l’administration encore plus tentaculaire ?

Malheureusement, ce rêve pourrait ne jamais devenir réalité. A l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IA évoqué plus haut, le président de la République a donné une interview diffusée en direct le 9 février sur France 2 et Firstpost. Alors qu’Emmanuel Macron s’amusait (au contraire de la journaliste indienne) de se voir transformé en femme grâce à l’IA, Palki Sharma Upadhyay lui a demandé s’il ne craignait pas qu‘elle détruise des emplois. Le Président a répondu que l’IA allait permettre de libérer du temps avec peu de valeur ajoutée pour gagner du temps humain. Par exemple, dans les services publics, les agents disposeront de plus de temps pour s’occuper des administrés. Il a ajouté qu’il ne faisait pas partie de ceux qui pensent que l’IA allait tout remplacer.

Quelques jours plus tôt, le ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, Laurent Marcangeli, ne disait pas autre chose en présentant la stratégie du Gouvernement en faveur de la diffusion de l’IA dans le secteur public. Pour lui, l’IA « n’a pas vocation à remplacer les agents, mais à leur simplifier la vie ». Bref, il s’agit d’abord d’utiliser l’IA au service des fonctionnaires, et non pour générer des économies.

L’IA utilisée par l’État pourrait même devenir un véritable cauchemar pour les Français. En effet, à quoi bon simplifier les procédures si l’IA facilite le travail des fonctionnaires qui instruisent les dossiers ? À quoi bon réduire les normes si l’IA les aide à mieux se repérer dans le maquis ? À quoi bon instaurer un impôt simple si l’IA permet de complexifier à loisir ?

Alors que l’IA pourrait permettre rapidement de réduire de 25% les effectifs de la fonction publique, le risque est grand qu’elle n’aboutisse à leur progression. D’ailleurs, elle est déployée dans l’administration depuis 2015 et les effectifs n’ont pas diminué. Entre 2017 et 2022, ils ont augmenté de 178 000 (dont + 96 000 dans la fonction publique d’État) et nous savons que le budget 2025 prévoit la création de 2 264 postes supplémentaires.

Ailleurs, ça marche !

Au Royaume-Uni, le gouvernement de Keir Starmer affiche de toutes autres ambitions. Il prévoit de remplacer par l’IA des « outils archaïques » dont le coût est estimé à 53 milliards d’euros (Md€) par an. Par exemple, elle sera utilisée pour analyser les réponses reçues dans le cadre des enquêtes publiques. Actuellement, expliquent les autorités britanniques, « ce processus est sous-traité à des consultants et des analystes qui peuvent mettre des mois » à traiter les informations « avant de facturer au contribuable 100 000 livres à chaque fois ».

Le Premier ministre Keir Starmer n’a pas les pudeurs de ses homologues français pour qui toute initiative doit répondre à des impératifs de « souveraineté numérique ». Peu lui importe que les outils utilisés soient britanniques ou non… du moment qu’ils sont efficaces. En fin d’année 2024, il a ainsi conclu un accord avec Microsoft pour permettre à ses fonctionnaires de recourir au robot conversationnel Copilot dans l’exercice de leurs tâches. Il y a quelques jours, il a signé un accord avec la société américaine Anthropic, soutenue par Google et Amazon, pour utiliser son modèle de langage « Claude » afin notamment d’automatiser des tâches administratives et fluidifier l’accès des citoyens aux informations.

Toutes ces actions s’inscrivent pleinement dans le plan plus général du gouvernement travailliste de réduction de 15% des coûts de fonctionnement de la fonction publique en quatre ans. Des économies qui passent par la suppression de 10 000 postes de fonctionnaires. Pour Starmer, « L’IA devrait remplacer le travail des fonctionnaires là où il peut être effectué selon les mêmes normes ». C’est pourquoi, en plus des 3,9 Md€ qui seront investis dans la modernisation des services publics, un budget de 200 millions d’euros a été prévu pour financer les départs volontaires de fonctionnaires.

Le gouvernement de Hong Kong veut également supprimer 10 000 emplois publics (soit 2% des effectifs) afin de lutter contre un déficit budgétaire croissant. La région administrative spéciale chinoise déploie actuellement HKGAI V1 (une version locale de ChatGPT) dans 70 administrations gouvernementales. L’outil accomplit des tâches de secrétariat (rédaction, résumé, traduction) et est capable de répondre instantanément aux requêtes des utilisateurs.

Au Canada, le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, pense que le déploiement de l’IA dans l’administration fédérale pourrait aider la coalition au pouvoir à tenir sa promesse électorale de supprimer 5 000 postes dans la fonction publique et ce, « sans porter atteinte à la prestation des services publics ».

Finalement il n’y a qu’en France où le gouvernement se refuse à lier
l’intelligence artificielle à la diminution des dépenses
et à la réduction des effectifs de la fonction publique.
Encore une exception culturelle ?

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