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01.12.2023 - N° 1.466

Inflation : un drame social et culturel
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Par Karl-Friedrich Israel

Karl-Friedrich Israel a étudié l'économie, les mathématiques appliquées et les statistiques à l'université Humboldt de Berlin, à l'ENSAE de Paris et à l'université d'Oxford. Il a obtenu son doctorat en France à l'Université d'Angers et son habilitation à diriger des recherches en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est actuellement maitre de conférences à l'Université Catholique de l'Ouest à Angers et occupe la chaire de politique économique à l'Université de la Sarre à Sarrebruck en Allemagne.



La création monétaire enrichit une minorité possédante au détriment du plus grand nombre, un processus qui mine lentement la société et menace sa cohésion

La réflexion critique sur le thème de l’inflation est aussi ancienne que l’économie elle-même, et elle va bien sûr au-delà de l’économie en tant que science. Le problème de l’inflation commence dès lors que l’on confond la rareté des moyens réels avec une rareté de l’argent, autrement dit lorsqu’on tente de masquer la rareté des moyens réels en créant de la monnaie.

Un expédient individuel qui pénalise le collectif

Le point de vue économique individuel (microéconomique) d’un groupe de personnes devient la référence pour un problème économique général (macroéconomique).

Les problèmes économiques individuels peuvent être résolus par la création monétaire, mais pas le problème économique général de la rareté des moyens et des ressources réels. Ces dernières ne peuvent pas être augmentées par la création monétaire, mais seulement redistribuées. La création monétaire se fait donc au détriment des autres. Elle entraîne une redistribution depuis la majorité des gens vers quelques profiteurs. Une grande partie des conséquences sociales et culturelles de l’inflation trouve son origine dans cet effet de redistribution.

Ce qui rend la création monétaire particulièrement insidieuse, c’est la facilité avec laquelle les citoyens se laissent duper. Dans un premier temps, l’économie semble florissante. Les dépenses et les revenus monétaires augmentent. Le papier-monnaie a une valeur d’échange qui commence seulement à s’éroder. À ce stade, la redistribution est déjà à l’œuvre, mais elle n’est pas encore remarquée par tous : les gagnants sont ceux qui acquièrent au bon moment des biens et actifs réels qui conservent leur valeur, même une fois le mirage dissipé.

Tout le monde ne peut jamais s’enrichir grâce au processus d’inflation. Pire, même pour ceux qui finissent par repartir bredouilles, l’illusion d’une plus grande prospérité est maintenue, au moins pendant un certain temps, grâce à une consommation accrue – jusqu’à ce que la dévaluation du papier-monnaie fasse voler en éclats l’illusion – le moment où l’effet réel de la redistribution se manifeste aux yeux de tous.

Un transfert de richesses qui ne dit pas son nom

Un canal important par lequel la redistribution opère est l’inflation disproportionnée des prix des actifs qui résulte de l’inflation générale des prix.

Elle est due à un changement de comportement en matière d’épargne. Dans une économie inflationniste, le coût d’opportunité de la détention de monnaie augmente et, par conséquent, les incitations à réorienter l’épargne vers des biens et actifs protégés contre l’inflation émergent. L’inflation disproportionnée des prix des actions et de l’immobilier est une manifestation de ce phénomène.

L’inflation disproportionnée du prix des actifs a tendance à avantager les classes déjà fortunées et à creuser le fossé entre les riches et les pauvres. Les actifs augmentent proportionnellement aux revenus, en particulier aux revenus du travail, et rendent ainsi l’ascension sociale plus difficile. Il devient par exemple beaucoup plus difficile d’acquérir un bien immobilier avec un revenu égal au salaire médian.

Nous pouvons ainsi identifier, entre autres, quatre tendances importantes de redistribution à l’heure actuelle :
  1. Du secteur privé vers l’État et le secteur public.
  2. Des personnes non fortunées vers les personnes fortunées.
  3. Des revenus du travail vers les revenus du capital et les gains en capital.
  4. Des jeunes vers les personnes âgées (car les jeunes générations ne possèdent souvent pas (encore) de patrimoine et dépendent davantage des revenus du travail).
 Ces tendances à la redistribution entraînent une augmentation des inégalités économiques et constituent ainsi l’une des principales conséquences sociales de l’inflation. Cette redistribution a des effets multiples sur la culture et le mode de vie de différents groupes de la société.

Une injustice sociale pour les plus jeunes et les plus pauvres

De manière générale, l’augmentation des inégalités favorise le ressentiment vis-à-vis du système et de la politique.

Cela peut être la cause d’une baisse de la participation électorale et d’une dérive vers les marges politiques, à gauche et à droite. Cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes générations. L’angoisse existentielle et le sentiment d’être laissé pour compte se répandent et provoquent un stress accru. Dans le pire des cas, elles conduisent à l’abandon de soi et à la résignation.

On observe depuis des décennies, en particulier chez les jeunes, des indicateurs croissants de souffrance psychique. La consommation de drogues et les taux de suicide augmentent. Ces phénomènes ont de nombreuses causes potentielles. L’une d’entre elles est la redistribution au détriment des jeunes générations. Mais celle-ci peut également entraîner d’autres changements culturels. Si l’ascension sociale est rendue plus difficile par la constitution d’une épargne à partir des revenus du travail, cela peut conduire à une plus grande orientation vers le présent. Au lieu d’épargner et d’anticiper l’avenir, on s’adonne aux plaisirs de la consommation du présent. La culture YOLO (you only live once) peut être comprise comme une dérive de cette tendance.

Une corruption collective s’installe chez les générations plus âgées et la classe politique, qui a tendance à profiter davantage du processus de redistribution.  On ne reconnaît pas les problèmes systémiques, même si on en est parfaitement conscient, car ce n’est pas à son propre avantage que l’on peut changer quelque chose.

Cette forme d’hypocrisie, que l’on retrouve souvent dans le discours public, renforce à son tour, lorsqu’elle est perçue, le ressentiment des personnes défavorisées dans ce processus de redistribution.

Une méritocratie évincée par une kleptocratie

Une forme de mégalomanie s’installe en outre dans la classe politique. On sous-estime les coûts réels des grands projets politiques financés par l’inflation, comme la protection du climat ou les conflits militaires. L’inflation entraîne un affaiblissement des limites de la marge de manœuvre politique. Cela peut également augmenter le ressentiment envers la politique chez tous ceux qui reconnaissent ce découplage et le considèrent comme problématique, même quand il est entendu que ce processus d’inflation profite à un autre endroit.

Ainsi, l’inflation ne provoque pas seulement un sentiment d’injustice accru, elle favorise aussi une culture de la méfiance et du ressentiment. On se méfie des élites et de la politique. Mais on se méfie aussi des entrepreneurs qui réussissent, car leur succès économique ne repose pas nécessairement sur une création de valeur productive, mais peut être le résultat d’une redistribution inflationniste.

C’est souvent un mélange des deux. On ne leur fait donc pas confiance pour réussir. Et c’est ainsi que s’érode le fondement social sur lequel est construit un système d’économie de marché. L’économie de marché promet d’être une méritocratie, c’est-à-dire une réussite économique pour ceux qui offrent aux autres quelque chose pour lequel ils sont prêts à payer.

La richesse que l’on génère est une richesse au profit des autres.
La redistribution inflationniste met ce système à l’envers.
La richesse issue de l’inflation signifie la richesse au détriment des autres.


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