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11.10.2023 - N° 1.416

Et si l’IA était la chance des moins qualifiés ?
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Par Philippe Silberzahn

Ancien entrepreneur, Philippe Silberzahn est professeur à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique. Il écrit sur l’innovation, l’entrepreneuriat
et la stratégie face à l’incertitude.



Les progrès rapides de l’IA suscitent une grande inquiétude. Cette inquiétude concerne notamment les moins qualifiés. Dans un monde de véhicules autonomes, par exemple, que vont devenir les chauffeurs de poids lourds et de taxis ? Et si, pourtant, cette peur était infondée ? Et si, au contraire, l’IA était une chance unique pour les moins qualifiés de compenser leur manque d’étude ?

Il y a de cela déjà quelques années, je suis allé dispenser une formation en Russie.

Arrivé à l’aéroport, je monte dans un taxi réservé par le client. Je ne parle pas russe, et le chauffeur m’a vite fait comprendre qu’il ne parlait ni français ni anglais. Mais il avait mon nom, et savait visiblement où me déposer, et nous voilà partis.

Je m’attendais donc à un parcours silencieux, mais au bout de quelques minutes, il s’est mis à parler. Interloqué, je me suis demandé ce qui lui prenait. Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre quelques secondes après une charmante voix féminine m’indiquer, en anglais, que sur la droite se tenait tel musée construit par Pierre le Grand, sur la gauche le monument dédié aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, etc.

En fait, le chauffeur parlait dans son téléphone équipé de Google Translate. L’application reconnaissait sa parole, la traduisait, et la ressortait en anglais. Je n’en suis toujours pas vraiment revenu. Google Translate lui permet de transporter des clients dont il ne parle pas la langue. Il peut faire plus, avec moins d’énergie, malgré son manque de qualification évident. Sans Google Translate, il aurait dû se contenter de passagers locaux, moins rémunérateurs. En clair, son manque de qualification a été compensé par l’IA. Grâce à elle, le chauffeur de taxi peut parler 30 langues, ou peut-être 150.

Dans un article précédent, j’évoquais l’image qu’utilisait Steve Jobs pour montrer les effets de la révolution du logiciel lorsqu’il déclarait que l’ordinateur était une « bicyclette pour l’esprit ».

Par cela, il voulait dire que l’Homme avait inventé un outil lui permettant de faire beaucoup plus qu’il ne pouvait faire naturellement. Il concluait : la principale différence entre les humains et les animaux est que les humains fabriquent des outils pour faire plus avec moins d’énergie, et ainsi démultiplier leurs capacités naturelles pourtant limitées. L’intelligence artificielle, c’est la bicyclette… puissance 10. Elle va permettre aux humains de faire plus, considérablement plus, avec moins d’énergie.



Suffisant

Chaque fois que je raconte cette anecdote, il se trouve quelqu’un pour me rétorquer que le chauffeur ne « parle » pas anglais, que Google Translate ne remplace pas l’apprentissage des langues. Et que va devenir le monde si nous cessons d’apprendre les langues étrangères ?

Mais c’est se tromper de question.

Évidemment qu’il faut continuer à apprendre les langues étrangères (et les langues mortes). Quelqu’un qui apprend une langue découvre aussi une culture. Mais l’alternative ici pour le chauffeur n’est pas entre apprendre ou ne pas apprendre une langue. Parce que cette alternative, il l’a déjà de facto résolue il y a vingt ou trente ans lorsqu’il était à l’école, et qu’il n’a pas appris l’anglais (parce qu’il n’a pas pu, parce qu’il n’a pas voulu ou pas su, peu importe).

Lorsqu’il m’accueille à l’aéroport, l’alternative est entre pouvoir et ne pas pouvoir me parler. Autrement dit, l’alternative à l’IA, c’est rien. Et là, l’IA, quelles que soient ses limites, c’est mieux que rien. Ce qui importe pour une nouvelle technologie, ce n’est donc pas qu’elle soit parfaite, ou qu’elle soit aussi bien que le naturel (apprendre une langue), c’est qu’elle soit suffisante pour celui qui, sans elle, ne pourrait rien faire.

On ne doit donc pas la juger vue d’en haut, à partir d’un critère de perfection – « Ah mais monsieur, rien ne remplace l’apprentissage du russe pour comprendre Pouchkine », mais à partir du bas : « Grâce à Google Translate je peux parler avec mon client et lui faire une visite guidée même si l’anglais n’est pas terrible ». Pas terrible, c’est mieux que rien.

Une école dans la poche

À tous les prophètes de malheur qui nous assènent ce qu’ils pensent être des évidences avec force courbes et slogans marquants (« demain tous au chômage ? »), à savoir que l’IA déclassera les moins qualifiés, on peut donc opposer l’idée selon laquelle, au contraire, comme ce chauffeur de taxi russe, elle permettra aux moins qualifiés de cesser d’être pénalisés.

Ils auront à tout moment leur « école » universelle sous la main. L’IA est donc profondément subversive. Grâce à elle, la connaissance deviendra une commodité, et ne sera plus réservée à une petite élite. Il ne faut donc pas s’étonner que l’élite lui soit hostile.

Car comme le disait Chris Anderson dans son ouvrage La nouvelle révolution industrielle :

« Le changement révolutionnaire se produit lorsque les industries se démocratisent, lorsqu’elles sont arrachées au seul domaine des entreprises, des gouvernements et des institutions et cédées aux gens ordinaires. »

Au lieu d’être une grande soustraction, l’IA est peut-être au contraire la grande addition ultime qui va mettre fin à l’inégalité résultant de la formation.
Et si l’IA était la chance des gens ordinaires ?



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