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31.03.2023 - N° 1.243 L’eau n’est pas un « bien public », c’est de l’or bleu !
Par Jacques Garello ![]() Jacques Garello, est Professeur Émérite à l’Université Aix Marseille, Président d’honneur de l’ALEPS, directeur de la publication de la Nouvelle Lettre (www.Libres.org). Dernier ouvrage paru : « Le Vote Libéral », Libréchange éd., septembre 2016. ![]() Réflexion sur la violence et l’insanité des casseurs de « grandes piscines »
À l’heure où j’écris cet article les évènements qui se déroulent dans le département des Deux-Sèvres font la Une de l’actualité : c’est peut-être le sort des écologistes radicaux qui se joue et par conséquent l’éventualité d’un « retour à l’ordre et l’apaisement », ou au contraire l’annonce d’un mouvement encore plus « factieux » mardi prochain. Je voudrais réfléchir à l’un des arguments habituellement utilisés en France pour expliquer que nul ne peut s’approprier l’eau, y compris des paysans qui très égoïstement stockeraient des piscines géantes pour pouvoir arroser leurs champs et abreuver leur bétail. Cette réflexion n’est pas originale parce que d’éminents économistes ont réglé le problème et définitivement. Voici donc les réponses que je donnais il y a quelques mois à un journaliste qui m’interviewait sur « l’eau, service public ». Afin d’obéir aux impératifs d’efficacité économique et de justice sociale, à qui devrait revenir le traitement de l’eau, bien public par excellence ? L’efficacité économique consiste à satisfaire les besoins des consommateurs en produisant des biens et services. Un bien ou service non rare est réputé non économique. La théorie économique un siècle en arrière citait en particulier l’air, l’eau. L’eau potable peut être économique ou non. La rencontre entre produits et besoins peut se faire dans le cadre d’un contrat : l’échange est alors marchand ; ou dans le cadre d’une répartition spontanée (famille, communauté, association) ou coercitive (force publique, à différents niveaux). La justice sociale est un « mirage » (Hayek) en dépit des allégations de Rawls. Elle est d’ailleurs conçue en France comme l’égalité des conditions de vie alors que la seule égalité est l’égalité en droit et en dignité, celle-ci ne se mesurant pas au niveau de vie. Il faut évidemment distinguer l’eau potable disponible à volonté en un lieu, et l’eau traitée, notamment quand elle est distribuée dans les agglomérations. L’eau traitée est-elle un « bien public » ? J’en doute, car elle peut très bien faire l’objet d’un contrat. Dans plusieurs villes du Maghreb existait un commerce de l’eau (les ânes d’Oran par exemple). Il peut y avoir bien marchand dès lors qu’il y a un droit de propriété. Ainsi la gestion de l’eau dans les oasis sahariennes est-elle assurée par les propriétaires des puits et aucun gaspillage n’est possible pour sauvegarder ce patrimoine précieux ; par contraste les puits communs dans les villages du Sahel avec une eau « gratuite » sont vite épuisés, chacun venant se servir au-delà de ce qu’exigerait la nappe phréatique. On a vu des villages généreusement dotés de pompes très efficaces privés totalement d’eau au bout de quelques semaines. Res ullius res nullius : ce qui est à tous n’est à personne, et personne n’en prend soin, Aristote l’avait déjà compris. L’eau traitée n’est donc pas un « bien public », car la définition rigoureuse d’un bien public proposée par la théorie des droits de propriété identifie sa double caractéristique : non exclusivité (personne ne peut se l’approprier) et non-rivalité (la consommation des uns ne diminue pas celle des autres). Or l’eau rendue potable par un traitement peut être appropriée, et si les uns en usent trop les autres en auront moins. La preuve en est que l’eau potable est un des biens marchands les plus commercialisés depuis des lustres. Mais en France, sans doute à cause de l’influence de « l’école des services publics » (encore appelée école de Bordeaux, avec Duguit et Gèze) on a tendance à voir des biens publics partout. La classe politique, toujours à la recherche de clientèle électorale, s’est progressivement imaginé de proposer aux citoyens toutes sortes de biens et services, qui se trouvent ainsi « nationalisés ». En France les biens deviennent publics par décret. J’ai le souvenir de la campagne de Valéry Giscard d’Estaing en 1981, alors que le président voulait lutter contre le programme commun de la gauche particulièrement riche en nationalisations. Jean-François Deniau, directeur de campagne de Giscard m’avait surpris en affirmant que son candidat était contre les nationalisations mais qu’il fallait néanmoins nationaliser l’eau – une recommandation de Jérôme Monod, conseiller de Jacques Chirac. J’ai naguère expliqué pourquoi les Gilets jaunes voulaient « en même temps » moins d’État donc moins d’impôts et davantage de services publics. En réalité l’on ne peut diminuer la dépense publique sans réduire le nombre de services publics, et l’on a baptisé services publics des activités qui ne produisent pas de biens publics, mais des biens marchands ou privativement partagés. C’est l’inflation de biens publics qui mène à l’inflation de dépenses publiques : nous sommes à la limite d’une lapalissade. Quelles sont les conséquences de l’incapacité de la puissance publique à définir clairement ce qui relève d’un bien public et ce qui n’en relève pas ? La puissance publique n’a aucune capacité à définir un bien public puisque c’est elle qui invente le bien public qui n’a aucune raison de l’être. En revanche, ce que l’on peut dire c’est qu’une fois le bien décrété public, sa production va devenir très compliquée et très coûteuse. D’abord parce que le producteur a en face de lui des usagers et non des clients. Ensuite parce qu’il a un monopole, les usagers n’ont pas le choix. Enfin parce qu’il y aura toujours quelque argument clientéliste pour justifier les initiatives de l’administration locale, régionale ou nationale. Les 23 mesures proposées par monsieur de Rugy sont un modèle du genre. Au passage je note que la pénurie en eau serait due au réchauffement climatique (une idée à succès en ces temps de canicule : voyez comment l’État prend bien soin de nos vieux, de nos malades, de nos pauvres) alors que les experts en eau craignent bien davantage la croissance démographique et surtout l’urbanisation dans les pays émergents. Je relève par exemple que des pénalités frapperont ceux qui ont des piscines ou qui lavent leur voiture (sans doute avec des moyens de surveillance et des policiers accrus). Mais en sens inverse, une « eau sociale » serait accessible aux Français les plus miséreux. Supposons un pauvre qui a une voiture et a l’idée bizarre de la laver : il paiera une amende mais cela sera compensé par la subvention touchée au titre de l’eau sociale. Je caricature sans doute, mais on sait l’imagination bureaucratique de nos administrations. Ce sera de la réglementation, du contrôle, de la répartition, de la compensation, de la cotisation et de l’impôt. Aurait-on oublié que c’est un impôt dit écologique (taxe carbone) qui a lancé les Gilets jaunes ? Au passage, on oublie certains droits individuels fondamentaux, comme le doit de propriété, puisque les municipalités auront le droit de préempter les terrains agricoles, surtout très arrosés ou « en milieu humide ». Quelle serait la meilleure solution libérale au problème des biens publics ? La solution libérale est toujours à base de subsidiarité et de concurrence. La subsidiarité commence au niveau du consommateur : on le dit gaspilleur, inconscient. Il aurait donc besoin de la puissance publique pour devenir raisonnable (c’est le nudging : le paternalisme étatique), en réalité il sait s’adapter très bien aux situations de pénurie et si l’eau est marchande son prix rétablira très vite de saines tempérances. La subsidiarité exige encore, du côté de l’offre, que l’eau soit gérée au niveau le plus proche possible des ménages concernés et que le droit de propriété sur l’eau soit défini et dévolu avec précision. L’administration ne peut et ne doit intervenir que si les particuliers ne trouvent pas la solution par le jeu des contrats ou des accords communautaires ou coopératifs. Il est vrai que les collectivistes évoqueront toujours les « externalités » : chacun crée des dégâts aux autres sans le vouloir ou sans s’en préoccuper. Mais les externalités sont impossibles à mesurer, par définition. En sens inverse, Ronald Coase a mis en évidence le fait que des individus et des groupes sont capables de gérer des « biens publics » sans intervention de la puissance publique : il donne en particulier l‘exemple des phares. Donc la solution libérale est, à titre préalable, de démasquer les faux biens publics : les transports n’ont aucune raison d’être « publics », trains, tramways, autobus, transportent voyageurs et marchandises sans problème, l’art, la culture, les musées, n’ont pas à être confisqués par l’État. La production d’eau potable n’a pas davantage à tomber dans la sphère publique. À titre transitoire une solution peut consister à donner l’eau en concession à des entreprises privées ou à des groupements, associations et coopératives, qui en feront leur affaire (subsidiarité). Enfin, il ne faut pas oublier que les Verts, que l’on dit très europhiles, ne doivent pas oublier que l’existence d’un marché commun entre les pays de l’Union ne permet pas de tolérer les « services publics à la française ». Nous serons peut-être dans quelques années très heureux d’acheter notre eau en Finlande (d’ailleurs les sociétés des eaux françaises vendent depuis longtemps de l’eau aux Espagnols). En réalité, l’eau sera abondante et de qualité quand on aura restauré la propriété privée et le libre marché de « l’or bleu ». Il n’y a pas d’autre solution libérale au problème des soi-disant biens publics
que de les rendre à l’initiative et à la responsabilité des particuliers.
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