![]() Toutes les news c'est ici Contact
Abonner un(e) ami(e) Vous abonner Qui sommes nous ? |
06.01.2023 - N° 1.160 Les Français et la maladie du « Toujours Plus »
Par Claude Sicard Claude Sicard est ingénieur agronome, Sciences Po, et docteur en économie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la stratégie d’entreprise : Pratique de la stratégie d’entreprise, Le Manager Stratège et L’audit de Stratégie (Ed Dunod). Après un début de carrière dans l’industrie, a été directeur adjoint du département d’Économie de la CEGOS. Puis, ayant créé son cabinet de Conseil, la société OCS, Consultants, il s’est spécialisé dans les techniques d’analyse stratégique d’entreprises. ![]() Un sondage indique que 6 Français sur 10 sont pessimistes sur l’avenir du pays mais on ne leur a jamais expliqué quels étaient les défis à relever. L'année 2022 vient de s’achever et on s’interroge avec inquiétude sur ce que nous réserve la nouvelle année. Toutes les économies européennes sont très fortement affectées par les répercussions de la guerre menée par les Russes en Ukraine et le FMI vient d’abaisser de 2,5 % à 2 % ses prévisions pour la croissance mondiale. Il révèle dans sa dernière note que « le ralentissement le plus marqué interviendra dans la zone euro ». En France les handicaps pour surmonter les difficultés qui se profilent ne manquent pas : le secteur industriel amoindri ne représentant plus que 10 % du PIB fait de la France le pays le plus désindustrialisé d’Europe Grèce mise à part ; la dette structurelle toujours croissante est supérieure au PIB ; le taux de chômage est le plus élevé d’Europe ; les dépenses publiques sont en proportion du PIB beaucoup plus importantes que partout ailleurs. Nos dirigeants n’ont donc pas devant eux une page blanche. Et il existe de surcroît un élément sous-jacent jamais évoqué qui est une donnée sur laquelle les dirigeants n’ont aucune prise : la sociologie du peuple français. Le rôle de la sociologie en matière économique La sociologie joue un rôle extrêmement important dans les processus et les phénomènes économiques. Dans La grande transformation, Karl Polanyi, un économiste anthropologue austro-hongrois dont les travaux sont très appréciés par les économistes de l’École de Toulouse énonce qu’il ne peut y avoir de relations économiques sans relations sociales. Dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, paru en 1905, Max Weber avait expliqué que la différence profonde de performances économiques entre les pays du nord de l’Europe et les pays du sud tient au fait que les uns sont protestants alors que les autres sont catholiques. Selon lui, c’est l’éthique protestante qui a fait le succès du capitalisme : chez les protestants on accumule pour investir et non pas pour consommer. La France fait partie de ce que certains experts à Bruxelles appellent malicieusement les « pays du club Med ». Nos dirigeants se voient contraints de faire avec cette donnée qui est par nature inchangeable. Max Weber a fait le constat que lorsque dans un pays il y a une partie protestante et une autre catholique c’est toujours la partie protestante qui est la plus prospère. Au-delà de cette spécificité culturelle il existe en France un syndicalisme d’opposition qui est la conséquence, selon de nombreux auteurs, de la loi de Waldeck Rousseau du 21 mars 1884 qui a donné une base légale aux syndicats mais les a écartés des sages sentiers de l’administration des choses. En Allemagne et dans les pays scandinaves les syndicats et le parti socialiste collaborent. Il y a même un système de cogestion des entreprises chez notre voisin allemand. Dans les pays scandinaves, les conflits se règlent par le dialogue. C’est aussi le cas de la Suisse où depuis l’accord conclu en 1937 instituant « La Paix du travail », il n’y a plus jamais de grèves. Dans le cas de la France, il faut se rapporter à la Charte d’Amiens de 1906 qui a fondé le syndicalisme français : elle valorise l’expropriation capitaliste et la lutte des classes avec comme moyen d’action la grève générale. Ainsi, en France, l’inconscient prolétarien est révolutionnaire. Cette Charte a constitué jusqu’ici l’ADN du syndicalisme français. Aussi, les conflits entre les syndicats et le patronat n’ont-ils pas cessé d’agiter la société. Il est impossible de les énumérer tous ici mais on ne peut manquer de rappeler l’épisode du Front populaire de 1936 qui a abouti à la semaine de 40 heures et des congés payés : dans toute la France des usines furent occupées et le drapeau rouge flottait sur bon nombre d’entre elles. Avec ces innombrables luttes contre le pouvoir et le patronat les Français ont obtenu des avantages sociaux importants inscrits dans la législation du pays. Le Code du travail français est ainsi très volumineux et particulièrement rigide et nuit au bon fonctionnement des entreprises. Les pays scandinaves et la Suisse sont pris comme exemples de pays où l’économie est dynamique et prospère : Population active
On voit comment s’est organisé le pays pour faire fonctionner sa machine économique par comparaison avec les pays scandinaves et la Suisse. Dans le cas de la France :
Il manque à la France au moins 4 millions de personnes au travail sachant que les chômeurs sensés rechercher activement un emploi sont comptabilisés dans la population active. En France, ceux qui ne sont pas au travail sont portés par la communauté nationale et vivent de subsides fournis par la population active. Fin octobre 2022 Pôle Emploi comptait 6 198 310 inscrits toutes catégories confondues (A, B, C, D et E), dont 3 091 900 inscrits en catégorie A. Il en résulte des performances économiques très inférieures à celles des pays scandinaves et de la Suisse. Paradoxalement, le pays se situe au 24e rang seulement du classement des nations du World Hapiness Report de l’ONU de l’année 2019, entre le Mexique et le Chili alors que les pays pris ici en exemple sont tous en tête du classement. Finlande
Quand la France va-t-elle pouvoir se réformer ? Ces données conduisent à conclure que la France a un immense besoin de se réformer mais ses dirigeants sont très loin de s’atteler à la tâche. Les dépenses publiques sont à un niveau très supérieur, en proportion du PIB, à ce qu’elles sont partout ailleurs (51,9 % du PIB contre 34,9 % pour la moyenne OCDE ). Les hôpitaux publics sont fortement déficitaires, leur dette s’élève à 30 milliards d’euros. Le COR prévoit que le déficit des caisses de retraite va s’élever dans les prochaines années à 0,5 voire 0,8 point de PIB. Le pays a perdu près de la moitié de son secteur industriel qui ne représente plus que 10 % du PIB alors qu’il devrait se situer au moins à 18 %. De toutes parts, la population réclame davantage de médecins et d’infirmières, davantage de juges, de policiers et de gardiens de prison, davantage de postiers, etc. Les revendications pour l’augmentation du pouvoir d’achat sont permanentes. Les 35 heures instaurées par Martine Aubry ont fait partout des dégâts considérables et aucun autre pays n’a adopté une telle mesure. Les Français ne parviennent pas à réaliser que le PIB par habitant est bien inférieur à celui des voisins du nord et veulent faire fonctionner la machine économique avec des ratios inférieurs des éléments clés intervenant dans le processus de création de richesse à ce qu’ils sont dans les pays où les PIB par tête sont élevés. Cette maladie du « toujours plus » qui affecte les Français avait été déjà dénoncée en 1982 par le journaliste et essayiste François de Closets dans Toujours plus. Ce livre a eu à l’époque beaucoup de succès. François Mitterrand l’avait qualifié « d’ouvrage salutaire ». François de Closets écrivait : « Les Français se proclament tous défavorisés, réclamant plus d’argent,
mais aussi plus de droits, d’avantages, de loisirs, et de garanties ». En 2006, il est revenu à la charge avec Plus encore ! Il serait bon que nos dirigeants veuillent bien s’en inspirer. Cet esprit revendicatif s’était traduit par ce bouleversement extraordinaire qu’a été la Révolution de 1789 qui a aboli la royauté et accompagnée des cruautés et des massacres qui ont marqué cette période. Cette grande révolution s’est inscrite dans le roman national : elle est une date clé de l’histoire de France. Elle est louée aux jeunes générations, à l’école, comme un élément positif et on utilise donc la grève voire l’organisation de mouvements populaires violents pour s’opposer au pouvoir. Le marxisme est venu se greffer sur ce fond culturel. Vladimir Lénine avait parlé de « révolution permanente » et cette idéologie a eu beaucoup de succès en France. Les évènements de Mai 68 en ont été une illustration parfaite, mettant à mal une fois de plus l’idée même d’autorité. Plus récemment le mouvement des Gilets jaunes a beaucoup agité le pays. Les pouvoirs publics doivent donc faire avec cette donnée de la sociologie française. Alain Duhamel a analysé la psychologie politique des Français dans Les pathologies politiques françaises dont il dit « qu’elles incitent le pouvoir à avancer en crabe ». Il s’agit donc bien d’avancer mais avec précaution. Le premier pas consisterait à expliquer avec franchise aux Français où nous en sommes plutôt que de dissimuler en permanence la situation du pays. Un récent sondage Harris Interactive indique que six Français sur dix sont pessimistes sur l’avenir du pays, mais on ne leur a jamais expliqué quels étaient les défis à relever. Ils ne comprennent pas pourquoi le pays va mal et se dressent contre les dirigeants. Ils doivent pourtant comprendre les raisons pour lesquelles ils doivent faire des efforts et faire preuve de civisme. Nous
n’en sommes hélas pas là pour l’instant. Dès qu’une occasion propice se
présente, on déclenche une grève avant même de négocier et la direction
de l’entreprise prise au piège doit céder. Une fois de plus, la SNCF
vient d’en faire l’expérience, au moment où la population a le plus
besoin de se déplacer.
______________
|
||||
Qui
sommes-nous ? Nous écoutons, nous lisons, nous regardons... C'est parfois un peu ardu, et les news peuvent demander de l'attention. Mais elle sont souvent remarquables ! Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion et nourrir celle-ci. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs, et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. Bien sûr, vos commentaires sont très attendus. ![]() |