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03.01.2023 - N° 1.157 Débat sur les retraites : revenons aux fondamentaux !
Par Yves Montenay Yves Montenay est doté d'une riche carrière internationale nord-sud de cadre, conseil et chef d'entreprise. Démographe de formation, passionné d’histoire, d’économie et de géopolitique il est actuellement écrivain, consultant et enseignant. Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations nord-sud, notamment le Mythe du fossé Nord Sud, ainsi que Nos voisins musulmans, il publie également Les Echos du monde musulman, une revue hebdomadaire de la presse orientale et parfois occidentale sur le monde musulman, avec une priorité donnée à l'humanisation des récits. ![]() Préparons-nous pour la discussion sur les retraites. Laissons les partis échanger des arguments et revenons aux fondamentaux économiques et démographiques. Préparons-nous pour la discussion sur les retraites. Depuis bientôt trois ans, la presse grand public est remplie d’analyses contradictoires avec un déluge de chiffres. Laissons les partis échanger des arguments et revenons aux fondamentaux économiques et démographiques. Nous ne parlerons pas des arguments financiers qui ne sont que la conséquence de phénomènes plus profonds que nous allons décrire. Je suis ces discussions depuis des dizaines d’années, comme employeur démarché par toutes sortes d’organismes financiers me promettant monts et merveilles pour les futurs retraités de mon entreprise et parallèlement en tant qu’économiste enseignant à Sciences-po. Il y a eu des progrès dans l’analyse et la compréhension des enjeux mais on est très loin d’une vue claire des fondamentaux. La politique n’arrange rien. Les retraites : une histoire assez récente Après les dotations en terres des légionnaires romains à la fin de leur temps de mobilisation, l’accueil des clercs âgés dans les institutions religieuses médiévales et la création de la Caisse des Invalides de la Marine par Colbert, il faut attendre 1889 et Bismarck en Allemagne pour voir l’apparition d’une caisse générale de retraite. En France, des Caisses de secours mutuel existent depuis 1804 et à partir des années 1850, les caisses du Comité des Forges (le patronat de la sidérurgie) et celles des fonctionnaires, conçues sous Napoléon III, empereur socialiste d’après les critères de l’époque. Mais, la retraite d’État ne voit le jour qu’en 1910, avec un départ à 65 ans. L’ignorance des fondements économiques de la retraite Quand on interroge le grand public on se rend compte que la nature économique de la retraite n’est pas bien connue. Certes pour les modalités, on se renseigne auprès de sa caisse ou de son syndicat mais à propos du principe c’est « on ne sait pas » ou « c’est un droit » en ajoutant éventuellement « arraché par les syndicats ». Arraché à qui ? Une idée reçue est que la retraite est le versement différé des retenues effectuées sur les salaires au fil de la carrière, après bonification par l’employeur (je n’entre pas ici dans la discussion de savoir si la contribution de l’entreprise est ou non un prélèvement indirect sur le salaire). Cette idée renforce celle « d’un droit ». Or c’est un « droit à » c’est-à-dire qui ne s’appliquera que si c’est possible par opposition au « droit de » qu’il suffit de promulguer, comme par exemple droit de vote. En
effet la retraite ne provient pas du tout de sommes déjà versées et qui
auraient été mises de côté, mais d’un prélèvement sur les actifs,
c’est-à-dire sur leur travail actuel.
Les sommes versées ne sont qu’un élément du calcul qui permet de déterminer la pension de quelqu’un. C’est maintenant plus ou moins bien compris dans le cas de la retraite par répartition mais ne l’est pas du tout dans le cas de la retraite par capitalisation. Nous y reviendrons. Complication supplémentaire : la généralisation des retraites et la mauvaise compréhension de leurs mécanismes en ont fait une arme électorale redoutable. François Mitterrand s’est fait élire en 1981 en abaissant de 65 à 60 ans d’âge de la retraite, ce qui est une des sources des problèmes actuels. Aux objections des démographes qui prévoyaient une catastrophe à partir de 2006, début de la période où la génération du baby boom d’après-guerre atteindrait les 60 ans, il répondait : « nous sommes en 1981. Et nous avons des élections à gagner ! » Les régimes spéciaux Il s’agit de catégories de personnel, principalement de la RATP et de la SNCF dont la date de départ est précoce, surtout pour le personnel en catégorie active. Le cas extrême est celui des conducteurs de train qui peuvent partir entre 50 et 52 ans, alors que les sédentaires de la SNCF peuvent partir entre 55 et 57 ans. Le coût financier est donc très important même si diverses dispositions complexes font qu’une partie du personnel part plus tard. Mais le coût humain l’est peut-être encore davantage avec la sortie du système productif de personnes qualifiées. Ce dernier point peut évoluer avec la mise en concurrence des réseaux de transport public, les éventuels nouveaux gagnants pouvant embaucher ces jeunes retraités. Il s’agit bien entendu d’un privilège, même si le mot est mal vu. Mais il est âprement défendu et une grève de la SNCF ou de la RATP peut prendre le pays en otage, comme vient de l’illustrer une fois de plus la grève des contôleurs à la veille de Noël. Ces privilèges étaient ciblés dans la précédente version de la réforme menée par Jean-Paul Delevoye et selon l’IFOP, une majorité de Français soutient l’idée de réformer ces régimes spéciaux. Mais tous les gouvernements reculent devant les menaces de blocage du pays. Et pourtant ce sont en grande partie ces régimes spéciaux qui induisent le déficit des retraites en France. François Bayrou rappelle qu’en plus de payer ses charges patronales pour 25 milliards par an et de régler les retraites des fonctionnaires pour 90 milliards, l’État finance à hauteur de 30 milliards la RATP et la SNCF pour leurs retraités. Ces données étant rappelées, comment s’y retrouver dans les nombreuses propositions et contre-propositions ? Pour une analyse démographique À mon avis, le problème principal est que la question présentée comme financière alors qu’elle est démographique : si l’on ne change rien, il n’y aura pas assez d’actifs pour s’occuper à la fois d’eux mêmes, de leur famille et des personnes âgées. Et par « s’occuper » je pense d’abord aux fonctions basiques : nourrir, habiller, soigner, se déplacer etc. Je vois venir le moment où il n’y aura pas assez d’électriciens pour dépanner l’ascenseur d’un immeuble de grande hauteur, laissant sans nourriture et sans soins les faibles et les vieux des étages élevés ! Et cela alors qu’une partie des électriciens auront pris leur retraite à un âge où ils pourraient parfaitement faire le travail ! On voit bien que ce n’est pas une question d’argent. Répartition contre capitalisation, un faux problème Certains libéraux professent que la seule solution au problème des retraites est le passage à la capitalisation. Or, la capitalisation ne permet pas de contourner le problème démographique. J’avoue avoir été profondément choqué il y a quelques années par ce que j’appelle une publicité mensongère du genre : « épargnez, placez à 5 % et vous verrez que vous aurez une retraite plus importante que dans le système actuel ». Or, financièrement personne ne peut promettre un rendement de 5 % (hors inflation sinon il ne signifie rien) pendant 40 ans. Certes l’investissement en actions d’entreprise permettra de financer leur croissance. Mais pour que lesdites entreprises soient prospères et distribuent des intérêts des dividendes et soutiennent le cours de leurs actions, il faut suffisamment d’actifs pour cela. Et on retombe sur les problèmes démographiques. Comment résoudre ce problème démographique ? Aujourd’hui, un retraité a très grossièrement le même revenu qu’en étant actif car si l’on part avec 60 à 75 % du dernier salaire, ce dernier est en général le plus élevé de la carrière. Cela ne fait donc que ramener le revenu d’un retraité au salaire moyen français qui sont tirés vers le bas par des difficultés d’une partie des jeunes. On peut le vérifier sur le plan national, ce qui est recoupé par la constatation que ce sont maintenant souvent les aînés qui aident les jeunes. Mais bien sûr « rien n’est plus menteur qu’une moyenne » et les disparités individuelles sont considérables. Restons dans le domaine des moyennes nationales. Si on voulait maintenir ce niveau de pension par rapport aux salaires, alors qu’on se rapproche démographiquement d’un retraité pour un actif, il faudrait que chaque retraité prélève la moitié des revenus de chaque actif ! L’actif ne garderait donc que 50 % de son revenu pour sa famille et notamment ses enfants. On imagine sa réaction électorale, les protestations, voire l’émigration qui ne ferait qu’aggraver le problème ! Il faut donc empêcher par tous les moyens de s’approcher de ce ratio de un pour un. Or ce ratio se dégrade continûment : il est passé de plus de deux en 2004 à 1,65 en 2000. ![]() Mais attention, ces données ne sont pas restées « toutes choses égales par ailleurs » puisque pendant cette période des réformes ont été appliquées qui ont augmenté la durée de cotisation ! Autrement dit, si on n’avait rien fait le rapport serait beaucoup plus proche de un aujourd’hui. À l’horizon 2070, ce rapport tomberait à 1,3 selon les projections du COR, en raison du vieillissement de la population. ![]() Cela montre que les réformes ont été insuffisantes et qu’il faut passer à la vitesse supérieure. Remarquons une fois de plus qu’il ne s’agit pas d’une question d’argent mais d’un nombre de personnes. Il est donc nécessaire de changer certaines règles du jeu, voyons lesquelles. Changer certaines règles du jeu Le recours à l’immigration de travail Le premier moyen de garder plus d’un actif par retraité est l’immigration mais il faudrait qu’elle soit massive. En tout cas, les immigrés actifs sont bien vus et le projet de loi actuel permet de régulariser ceux qui travaillent dans « les métiers en tension », de plus en plus nombreux vu les difficultés de recrutement en France. Mais l’opinion est tellement réticente que le ministre essaie de minimiser le nombre de personnes concernées alors que le problème est tel qu’il faudrait au contraire en régulariser un très grand nombre ou faciliter l’immigration officielle. Dans ce domaine, on se heurte à deux visions caricaturales de l’immigration, l’une angélique et l’autre diabolique. Augmenter l’âge du départ en retraite Le deuxième moyen est l’augmentation de l’âge de départ, qui a le double avantage d’augmenter le nombre des actifs et de diminuer celui des retraités, ce qui est excellent pour s’écarter du rapport un pour un. Nos voisins européens l’ont quasiment tous relevé ces dernières années : ![]() MàJ 10/10/22 - L'âge légal de départ à la retraite dans l'Union européenne
Le cumul emploi retraite On peut également jouer sur d’autres paramètres, comme le cumul emploi retraite, la durée de la cotisation ou tout autre permettant de laisser aux actifs une part raisonnable de leurs revenus. Le cumul emploi retraite me parait avoir beaucoup d’avantages puisqu’il permet à des personnes expérimentées d’apporter leur travail avec une grande liberté de choix notamment en matière d’horaires. Mais je ne suis pas certain que cela suffise. Le taux d’activité des seniors dépend étroitement de l’âge légal de départ en retraite Je ne veux pas préjuger des discussions en cours sur ces sujets. Mais je signale simplement à ceux qui estiment qu’on va tout simplement augmenter le nombre de chômeurs sexagénaires que cette idée très répandue est fausse : le nombre de sexagénaires chômeurs est important durant les quelques années qui précèdent l’âge légal de départ, et donc diminue à un âge donné au fur et à mesure que l’âge de départ augmente. L’examen des chiffres de la DARES montre que le passage de l’âge légal de départ de 60 à 62 ans et les autres mesures dans le même sens (allongement de la durée de cotisation) a fait passer le taux d’emploi des 55 ans et plus, de 42 % en 2010 à 56 % en 2021. Et l’âge effectif de départ à la retraite remonte rapidement depuis 2009. ![]() Par ailleurs, dans presque tous les métiers la pénurie de main-d’œuvre amène à faire appel plus ou moins discrètement aux retraités ou au noir ou grâce a des prête-nom pour les « chômeurs » ou des sans-papiers. Le lien entre fécondité et vieillissement de la population Un dernier point démographique est très mal connu : le vieillissement de la population vient en grande partie de la fécondité mais cette baisse de la fécondité est justement la conséquence de l’existence d’un système de retraite. En effet, depuis toujours ce sont des enfants qui soutiennent les parents durant leur vieillesse. C’est toujours vrai aujourd’hui mais par l’intermédiaire des caisses de retraite qui coupent le lien direct entre parents et enfants. Autrement dit on peut maintenant être retraité sans avoir eu d’enfants, c’est-à-dire grâce aux enfants des autres et en prélevant une partie de son niveau de vie sur ceux qui se sont donnés du mal pour les élever. Je pense qu’il était bon de rappeler ces fondamentaux avant de se lancer dans les discussions qui commencent. Chacun va vouloir maintenant changer le paramètre qui l’arrange. Je ne parle évidemment pas des irresponsables qui veulent ramener le départ à 60 ans pour des raisons purement électorales, comme Mitterrand l’a fait en son temps. En conclusion Ne vous laissez pas embrouiller par les chiffres, pensez démographie, c’est-à-dire immigration ou au relèvement de l’âge de la retraite. Et
ajoutez une aide aux parents qui se donnent le mal d’élever des enfants
dont vous aurez grand besoin pendant vos vieux jours que ce soit
directement ou par l’intermédiaire d’un système financier.
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