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28.12.2022
- N° 1.151

SNCF, la grève de trop
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Par Philippe Alezard

Ingénieur Telecom, ancien élève l'Institut de Haute Finance, Président de FiPal
et membre du comité de présélection du Prix Turgot



On pensait avoir tout vu, entendu et supporté de la part de syndicats
de plus en plus jusque-au-boutistes mais
c’était sans compter sur le collectif anonyme des contrôleurs.

On ne change pas une équipe qui gagne. C’est le rituel de fin d’année : la grève SNCF au moment de Noël. Depuis l’an 2000, cette belle société nous gratifie de sa quinzième grève. Cette année encore, la tradition est respectée. Après les conducteurs, c’est au tour des contrôleur de réclamer leur part des « bénéfices colossaux » qu’aurait engrangé la SNCF.

On pensait avoir tout vu, entendu et supporté de la part de syndicats de plus en plus jusque-au-boutistes mais c’était sans compter sur le collectif anonyme des contrôleurs. Mouvement né sur Facebook, dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il rassemblerait 3500 contrôleurs sur toute la France et dénonce leurs souffrances au travail. On trouve toujours plus radical que soi et les syndicats ne contrôlent plus rien mais apportent leur soutien « logistique » à ce mouvement en déposant leur préavis de grève.

À les en croire, la SNCF serait une société modèle en termes de productivité et de rentabilité mais un enfer social avec des conditions de travail déplorables. Essayons donc de regarder d’un peu plus près les résultats et conditions de travail au sein de la SNCF. Tous les chiffres et toutes les données qui vont suivre sont publics et donc consultables par tout le monde.

Comment fonctionne la SNCF

Le groupe SNCF est une structure unifiée depuis le 1 janvier 2020, certes hybride, mais dont l’État est le seul actionnaire. Ce que ne semble pas avoir complètement compris le député Andy Kerbrat de la LFI qui fustige, sur twitter, les actionnaires de la SNCF, « profiteurs aisés », de « gâcher le Noël des Français ».



Le groupe est composé de cinq sociétés et deux filiales stratégiques. Il est organisé autour de trois pôles principaux :
  1. Le pôle transport de voyageurs, SNCF Voyageurs (les différents TGV, TER, Intercité, Transilien), la partie la plus connue de la SNCF est Keolis, la première filiale stratégique.
  2. Le pôle transport et logistique, avec principalement le fret SNCF et la seconde filiale stratégique, GEODIS.
  3. Le pôle gestion d’actifs, SNCF Gares et connexions, SNCF Réseau (l’infrastructure ferroviaire) et SNCF immobilier.
Le chiffre d’affaires

Selon son dernier rapport financier, le groupe SNCF a réalisé un chiffre d’affaires de quasiment 35 milliards d’euros pour un bénéfice de 890 millions d’euros. Rappelons que l’an dernier ce même groupe réalisait une perte de 3,3 milliards d’euros.

Les deux filiales Keolis et Geodis ont réalisé 17,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires soit plus de 49 % du chiffre du groupe. Quant à l’activité historique de la SNCF, à savoir l’entité SNCF voyageur (13 milliards d’euros de chiffre d’affaires), le réseau (2,6 milliards) et les gares (1,5 milliard), elle représente un peu  moins de 18 milliards d’euros.

Si l’on croit les chiffres officiels de la société, pour réaliser ces 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec en moyenne 410 000 journées de grèves par an, la SNCF bénéficie de diverses subventions et aides de l’État pour la soutenir dans son coût de fonctionnement et dans ses investissements. La première estimation du montant de ces aides a été faite par Jean-Cyril Spinetta dans son rapport sur  L’avenir du transport ferroviaire remis au le 15 février 2018 au Premier ministre. Fipeco vient d’en faire la mise à jour.

L’État et les régions achètent des prestations de services ferroviaires :  3,6 milliards d’euros pour les régions, 3,2 milliards d’euros pour la région Île-de-France, 2,4 milliards pour l’État qui paye directement les redevances d’accès au réseau pour les TER et le Transilien et enfin 0,2 milliard au titre de l’équilibre des territoires (financement d’une partie des intercités). C’est donc un total de 9,4 milliards d’euros que le contribuable français apporte en soutien aux coûts de fonctionnement de la société.

L’État intervient également dans le budget d’investissement de la SNCF.

En 2020, les subventions ont été de 2,5 milliards d’euros pour l’achat de matériels roulants pour SNCF Voyageurs et de 2,6 milliards pour le réseau, soit une autre enveloppe de 5,1 milliards d’euros.

En 2007, l’État, toujours lui, enfin toujours nous, a repris 8 milliards d’euros de dette de la société puis 25 milliards en 2020. Fin décembre 2021 la dette de la SNCF s’établissait encore à plus de 36,3 milliards d’euros. Le service de la dette pour ces reprises, représente une charge de 0,7 milliard. Pour couronner le tout, une nouvelle reprise de 10 milliards d’euros de dette a été effectuée le 1er janvier 2022.

Par ailleurs, dans son rapport des comptes, la sécurité sociale confirme que le régime spécial des agents de la SNCF est structurellement déficitaire. En 2021 la branche vieillesse comptait 243 600 bénéficiaires pour 123 000 cotisants. Un ratio de 0,51 cotisant pour un retraité. Et la tendance n’est pas à l’amélioration. Pour combler le déficit du régime de retraite de l’année 2021 la subvention de l’État, donc du contribuable a été de 3,3 millions d’euros.

Pour résumer : en 2020, la SNCF a représenté pour les contribuables, qu’ils prennent ou non le train, un coût total de 18,5 milliards d’euros.

C’est donc exclusivement grâce aux contribuables que la SNCF affiche de bons résultats.

Conditions de travail

Passons maintenant aux conditions de travail dont les souffrances sont dénoncées par ce fameux collectif et reprises par de nombreux relais parmi les députés notamment de la NUPES (cf. notre ami Kerdrat et autres).

La Cour des comptes a publié un rapport en novembre 2019 sur la gestion des ressources humaines à la SNCF. Ces honorables magistrats font la comparaison entre les salariés de la SNCF et ceux de la fonction publique et du privé.

Ces comparaisons (les chiffres sont de 2017) portent sur les salaires, les avantages sociaux, la durée du travail et les retraites. Fipeco en a fait l’analyse.

Les salaires

Les salaires des ouvriers (2132 euros/mois) et des professions intermédiaires (2534 euros/mois) sont de 10 % à 30 % plus élevés que dans le privé (1636 euros/mois pour un ouvrier) ou dans la fonction publique (1788 euros/mois).

Pour les cadres, les salaires (3572 euros/mois) sont voisins, légèrement supérieurs à ceux du public (3357 euros/mois) et inférieurs à ceux du privé (4040 euros/mois).

Les salariés de la SNCF (mais pas leur conjoint et enfants) bénéficient de soins gratuits dans une centaine de cabinet médicaux, cinq laboratoires et trois centres d’imagerie. Le rapport des comptes de la sécurité sociale estime cet avantage à 3 % du salaire brut.

Les agents peuvent percevoir une allocation familiale supplémentaire pour le troisième enfant, non soumise à l’impôt et à la CSG dont le montant peut atteindre 300 euros.

Enfin les cheminots actifs et retraités bénéficient de « facilités de circulation » pour eux-mêmes et leur famille (conjoints, enfants de moins de 21 ans et ascendants). Le coût de ces facilités est estimé à 220 millions d’euros, soit 550 euros par agent (actif ou retraité). Cet avantage en nature n’est pas soumis à l’impôt faute de suivi par la SNCF.

Le temps de travail

La durée du travail a été fixée par un accord d’entreprise de 2016 qui prévoit 1568 heures pour le personnel roulant ou le personnel ayant une activité liée au trafic et 1589 heures pour les autres. Il est notable que ces heures incluent le temps de trajet travail/domicile.

Toutefois, la Cour des comptes relève que compte tenu des plans de transport et des droits au repos le temps de travail effectif moyen des roulants est de 1409 heures. La durée moyenne de conduite est de 3 heures et 42 minutes par journée de service. Pour mémoire, les roulants de la Deutsche Ban effectuent 2036 heures. Les salariés de la fonction publique travaillent en moyenne 1577 heures par an et ceux du secteur privé 1708 heures.

La retraite

Les cheminots bénéficient d’un régime spécial. La réforme Borne n’aura pas d’effet sur le court terme. Sur ce plan également la comparaison avec le régime général et le régime des fonctionnaires est sans appel.

L’âge moyen de départ à la retraite des agents de conduite est de 53,9 ans et 58,1 ans pour les autres cheminots. Pour les collectivités locales et les hôpitaux, l’âge moyen de départ à la retraite est de 61,8 ans. Pour le régime général il est de 62,5 ans.

Le montant moyen mensuel brut des pensions est de 3310 euros à la SNCF. Il est de 2600 euros pour les fonctionnaires d’État, de 1870 euros pour les collectivités locales et 1820 euros pour le secteur privé.

À noter qu’après 25 ans de service, une pension minimale de 1227 euros est garantie aux cheminots. Ce minimum contributif est actuellement de 713 euros pour le régime général après avoir cotisé au moins 120 trimestres, soit 30 ans.

L’enfer social des cheminots

Au regard de ces quelques données, une fois de plus publiques et notamment à la disposition de tous les commentateurs de l’actualité, la fameuse rentabilité et l’enfer social que vivraient les cheminots ne saute pas aux yeux.

Si l’on compte bien, on recense :
  • 18,5 milliards d’euros de subventions des contribuables français pour moins de 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires (chiffre d’affaires hors Géodis et Kéolis),
  • des salaires moyens pour les ouvriers et agents de maitrise entre 10 % et 30 % supérieurs à la moyenne française,
  • un temps de travail des roulants 20 % inférieur aux salariés du privé (roulants également),
  • une productivité de 40 % inférieure à celle de leurs homologues allemands,
  • des avantages sociaux et un départ à la retraite avec une pension moyenne sans commune mesure avec les autres salariés français, fonctionnaires ou non.
 
Mon propos n’est pas de dénoncer les avantages acquis par les cheminots ni de juger les conditions de travail spécifiques des roulants, mais de comparer la situation de ceux qui ont le pouvoir de bloquer des milliers de voyageurs le week-end de Noël avec celle de nombreux autres agents du service public.

Les agents de la SNCF ne sont certes pas fonctionnaires mais assurent une mission de service public qui leur est déléguée par l’État. Médecins, infirmiers, policiers, soldats assurent également cette mission de service public chaque jour, chaque nuit, Noël et autres fêtes comprises. Et des revendications, tant salariales que sur les conditions de travail, ils n’en manquent pas. Mais pour certains le droit de grève n’existe simplement pas et pour d’autres c’est brassard au bras en continuant leur labeur qu’ils l’expriment. Et que dire de l’état de l’Éducation nationale, de la justice ?

Un modèle à bout de souffle

En fait la situation à la SNCF est très symptomatique de l’état de déliquescence du dialogue social en France et du dysfonctionnement du secteur public.

Le taux de syndicalisation est au plus bas et les organisations syndicales ne contrôlent plus leur base. Elles n’arrivent plus à encadrer l’actions des différents groupes de salariés. On a pu le constater tout d’abord avec les Gilets jaunes puis avec le blocage des raffineries et maintenant avec ce collectif de contrôleurs. Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans tous ces mouvements. L’ubérisation des syndicats est en marche.

Or, le droit d’aller et venir est une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle.

Dans une démocratie, n’y-a-t-il pas une balance des intérêts à faire entre le droit d’une minorité de personnes ultra-radicalisée de bloquer un pays et celui des autres citoyens qui, après deux Noël paralysés par le covid veulent pouvoir se déplacer lors des vacances de fin d’année ? Et d’ailleurs, dans cette balance des intérêts ne faut-il pas également prendre en compte la crise de l’énergie qui oblige les Français à prendre des moyens de transports polluants et à s’engouffrer dans des embouteillages géants pour pouvoir embrasser leur grand-mère ?

Quant au dysfonctionnement du secteur public et à l’efficacité de la dépense, c’est le mariage de Sisyphe et du sapeur Camember, béni par le sergent Bitur.

Dans tous les secteurs, « l’entreprise » publique ne satisfait plus personne. Ses salariés sont à bout, épuisés, déprimés, mal payés (pour certains), totalement démotivés, condamnés à rouler cette maudite pierre qui retombe chaque jour. Les clients sont mécontents du service rendu et l’actionnaire, l’État (nous), passe son temps à faire des trous pour boucher les précédents.

Et pourtant, la dépense publique est proche de 60 % du PIB, et les prélèvements obligatoires sont à plus de 44 %, à des niveaux stratosphériques quasiment sans équivalent dans les pays de l’OCDE. L’endettement atteint les 3000 milliards d’euros, la moindre insatisfaction est socialisée à coups de milliards. L’État est présent partout, subventionne tout, la réparation des cafetières, des machines à laver, des vélos, le plein des voitures… Et pourtant les Français ont le sentiment que plus rien ne fonctionne, jusqu’à notre production d’électricité.

Le modèle est à bout de souffle. Il faudra avoir le courage politique de le poser, de l’exposer. Le temps du débat démocratique serein devra avoir lieu avant que d’autres acteurs, dans la rue ou sur les marchés financiers, n’imposent un changement plus radical et douloureux.


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