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25.07.2022 - N° 997 Espace : l’Europe fait le jeu des États-Unis et des Russes
Par Pierre Brisson Pierre Brisson, économiste libéral de formation (MA en Economics de l'Université de Virginie, Charlottesville), banquier d'entreprises retraité, est passionné de planétologie et d'astronautique, et président fondateur de la Mars Society Switzerland. ![]() Le 14 juillet l’Agence spatiale européenne a mis un terme définitif à sa coopération avec Moscou. Le 15 juillet, la NASA et Roscosmos (l’agence spatiale russe) ont décidé de continuer à coopérer. Le 14 juillet l’Agence spatiale européenne (ESA)1 a mis un terme définitif à sa coopération avec Moscou. C’est encore une décision politique stupide dans un domaine, la science, où la politique ne devrait pas interférer. La coopération entre l’ESA et la Russie était déjà suspendue depuis l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine. Cette nouvelle décision fondée sur la poursuite des combats en Ukraine irrite fortement la Russie mais c’est également un très mauvais coup porté à l’activité européenne dans l’espace. Rappelons à ce sujet que l’ESA devait lancer avec une fusée russe sa mission robotique d’exploration de Mars « ExoMars » pendant la fenêtre de tirs de juillet 2020. Cette mission, envisagée dès l’an 2000, avait été inscrite en 2005 comme mission majeure du programme d’exploration Aurora de l’ESA. Elle était effectivement très importante, aussi bien sur le plan scientifique (forages profonds dans le sol pour accéder à la zone non irradiée et peut-être à des traces de vie) et technologique (opération d’un rover en surface, ce qui aurait été nouveau pour l’ESA). En raison de l’incertitude sur la capacité des parachutes à assurer l’atterrissage sur Mars et surtout de la pandémie de covid, elle avait été reportée à la fenêtre de septembre 2022. NB : je rappelle que les départs de fusée vers Mars ne peuvent avoir lieu que tous les 26 mois en raison du déplacement des planètes à une vitesse différente sur des orbites différentes. En rétorsion la Russie a interdit à l’ESA d’utiliser le nouveau bras robotique « ERA » qu’elle a fourni à la Station Spatiale Internationale (ISS) et qui aurait pu être utilisé pour des opérations de maintenance des modules européens. En même temps, le 15 juillet, la NASA et Roscosmos (l’agence spatiale russe) ont décidé de continuer à coopérer pour transporter équipages et équipements vers et de l’ISS. Les Européens se tirent une nouvelle fois une balle dans le pied, pour rien Je rappelle qu’à l’origine, en 2008, l’ESA avait prévu (contracté) de travailler avec la NASA pour cette mission mais qu’en 2011, prétextant les surcoûts du télescope Webb, la NASA s’était retirée. J’écris prétextant car la NASA a mené depuis bien d’autres missions en plus de celle de l’achèvement et du lancement du télescope Webb et qu’elle n’avait pas très envie de se retrouver en auxiliaire des Européens. L’ESA s’était retournée en 2012 vers un autre partenaire. La justification était l’étalement des coûts. Mais on peut se demander s’il était bien sérieux de choisir la Russie comme partenaire pour lancer et faire atterrir le rover alors que ce pays venait de démontrer l’année précédente la baisse de son niveau technologique en échouant dans l’injection interplanétaire vers Mars de leur mission Phobos-Grunt. Cet échec venait après celui de la mise en service de Beagle 2 au sol en 2003 et avant de rater l’atterrissage de Schiaparelli en 2016. On peut vraiment se demander si pendant tout ce temps l’ESA n’aurait pas pu essayer d’effectuer des lancements et de tenter des atterrissages par elle-même avec son Ariane 6. Ce n’aurait pas pu être pire. Mais enfin puisque le partenaire Russe avait été choisi, pourquoi ne pas avoir continué alors que rien ne manquait pour le départ ?! La conséquence est très grave. Le rover (nommée Rosalind Franklin, d’après une biochimiste britannique, sans doute pour être à la mode féministe de l’ère du temps) est prêt. Il était prêt pour partir en juillet 2020 alors qu’il aurait dû partir en mai 2018. Il ne partira donc pas plus en septembre 2022. Il faut maintenant trouver un nouveau partenaire et par la force des choses, ce ne peut être que la NASA. La configuration du lanceur ayant changé et l’atterrisseur étant différent, il faudra aussi changer toutes sortes d’attaches ou d’interfaces entre le rover et son porteur et on n’envisage maintenant qu’un lancement en 2028. De ce fait, les coûts continuent et continueront d’augmenter car non seulement il faudra adapter la mission à ce nouveau lanceur mais il faudra négocier avec la NASA qui voudra certainement tirer profit de cette situation, en demandant par exemple une place pour des instruments qu’elle n’a pas pu envoyer précédemment. Pendant tout ce temps il faut payer les équipes qui continuent à s’occuper de la mission et maintiennent en état le rover, sans compter celles qui devaient s’occuper du rover une fois opérationnel sur Mars. On était parti de 690 millions en 2006, on était à 1,2 milliard en 2012 et on sera sans doute beaucoup plus haut en 2028. Pendant tout ce temps, l’ESA, donc principalement l’Europe, a dépensé beaucoup d’argent, occupé des scientifiques et des ingénieurs pour rien. In fine elle prive la communauté scientifique mondiale et d’abord en premier lieu la sienne, d’un instrument scientifique extraordinaire pour des motifs irrationnels. Il s’agit un peu d’une punition comme les enfants peuvent en appliquer à des petits camarades qui ne leur plaisent pas. Je veux dire que la réflexion est extrêmement limitée un peu comme celle qui a conduit aux sanctions économiques anti-russes. Les premiers à en souffrir sont ceux qui les décident. Et le gagnant en sont les États-Unis qui continuent à mener leur politique spatiale comme ils l’entendent. Du début à la fin, c’est une organisation de gribouilles
pour lesquels l’argent ne compte pas. 1. L’ESA n’est pas tout à fait l’Union européenne. Elle comprend 22 membres : Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Suède, République Tchèque et Suisse. Le Canada est « membre associé ».
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