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04.06.2022 - N° 945 Les ronds-points : une France qui ne tourne pas rond
Par Pierre Robert Pierre Robert est agrégé de sciences économiques et sociales, ancien professeur de chaire supérieure/classes préparatoires aux grandes écoles. Auteur, conférencier, expert auprès de l'institut Sapiens, il est chef économiste du Laboratoire Industries & Cultures / EMDP-Paris II, membre du Collectif Art faber. Il est l'auteur de "Fâché comme un Français avec l'économie" paru chez Larousse en 2019. ![]() La France, pays du fromage et du vin est aussi devenu celui des ronds-points.
Dans son sketch sur les sens giratoires et les sens interdits, le génial Raymond Devos
dénonçait il y a plus de 50 ans quelques-unes des contradictions du
mode d’administration de notre économie. Enfermé dans un système
circulaire dont il ne peut plus sortir, son automobiliste est sommé par
un agent public de payer une taxe de séjour…
Depuis, les ronds-points ont proliféré et les choses ne se sont pas du tout arrangées. La France, pays du fromage et du vin est aussi devenu celui des ronds-points. On sait qu’il y en avait 12 000 en 1994. Après cette date plus aucun chiffre officiel n’a été publié. Mais on estime qu’il s’en construit environ 800 chaque année. Il y en aurait donc nettement plus de 30 000 dans l’Hexagone qui en compte six fois plus que l’Allemagne et concentre la moitié des giratoires existant dans le monde. Les ronds-points, une invention française qui a trop bien réussi La paternité en revient à l’architecte Eugène Hénard. En 1907 il eut l’idée de faire tourner les véhicules en cercle sur les carrefours afin d’éviter les croisements hasardeux. Il s’agissait de limiter les accidents en adaptant des axes de circulation hérités du passé à un trafic en forte expansion. Pendant longtemps le bon sens prévalut et les ronds-points avec leur priorité à droite ne furent pas un sujet. Mais à la fin des années 1970 quelques édiles socialistes dont Jean-Marc Ayrault, futur Premier ministre et à l’époque maire de Saint-Herblain près de Nantes, s’en sont fait les promoteurs. Dès lors ils se sont multipliés dans leur version anglaise qui donne la priorité aux voitures déjà insérées. Dans une première phase d’expérimentation le dispositif a été adopté par des grandes villes de l’Ouest comme Quimper et Nantes. En 1983 il devient la norme lorsque le Code de la route entérine la fin de la priorité aux entrants. La même année, le gouvernement socialo-communiste de Pierre Mauroy met en vigueur les premières lois de décentralisation. Les autorités municipales s’emparent des compétences d’urbanisme et de voirie. La construction de giratoires s’emballe avec pour argument moteur celui de la sécurité proclamé à grand son de trompe par l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR). Sur des bases pour le moins fragiles, il avance dans un premier temps que le risque d’accident diminuerait d’environ 40 % dans les carrefours giratoires par rapport à un carrefour classique équipé de feux tricolores. Dans un document récent, la justification est reprise sur un mode mineur. Sans donner plus de précision l’ONISR avance que de 1980 à 1990 « la construction de carrefours giratoires réduit notablement le nombre des accidents mortels ». Le dispositif est donc supposé accroître la sécurité des usagers. Mais on peut en douter car selon une étude récente de la Prévention routière, 93 % des conducteurs estiment ne pas connaitre les règles pour prendre un rond-point : faut-il mettre son clignotant, ou pas, se placer sur la file de gauche ou celle de droite, à quel moment contrôler les angles morts ? Aucun de ces points ne relève de l’évidence pour les automobilistes français. On note aussi que pour ce qui est du nombre de victimes d’accidents de la route la France ne fait pas mieux que ses voisins européens où les ronds-points sont pourtant bien plus rares. Un coût faramineux La question de leur utilité sociale se pose avec d’autant plus d’acuité que les ronds-points coûtent cher. Leur coût d’installation est généralement compris entre 200 000 et un million d’euros, selon l’aménagement, les décorations choisies et le coût éventuel du foncier. Le budget annuel qui leur est alloué est donc plus que conséquent. En quatre décennies nettement plus de 20 milliards d’euros y ont déjà été consacrés, selon l’association Contribuables Associés. Les factures sont de fait souvent bien plus élevées que prévu alors que certains ronds-points font surtout office de support artistique, ce que dénonce l’association. Dans ses propositions de pire rond-point, elle nomme, entre autres, celui de La Haye-Fouassière, qui figure parmi les quelque 3000 ronds-points de Loire-Atlantique. Créé en 1993, celui-ci représente une soucoupe spatiale et a coûté pas moins de 400 000 euros. ![]() Mais la palme revient sans doute au très coûteux rond-point saucisse de Montpellier : ![]() Se revendiquant pourtant lui-même de la gauche, Mathieu Pigasse, ancien dirigeant de Lazard France fulmine : «
Six milliards d’euros engloutis chaque année dans les ronds-points,
dont près de deux sont consacrés à la seule décoration de ces
magnifiques ouvrages publics : corbeilles en rotin remplies de
coquillages, vaches en plastique paissant sagement sur de faux prés,
sculptures abstraites, fusées, cerfs royaux en majesté, oiseaux géants
prenant leur envol… »
Il y a donc la question du coût mais plus encore celle du coût d’opportunité de ces installations dont le financement a évincé celui d’autres projets qui auraient pu être bien plus utiles à la collectivité. La tyrannie des petites décisions Dès lors, nous sommes amenés à nous demander comment en sommes-nous arrivés là. Pour trouver une piste de réponse il faut se tourner vers cette forme souvent oubliée du socialisme qu’est le socialisme municipal. Animé par des élus locaux dont la vision du monde se confond le plus souvent avec celle de leur terroir ou de leur arrondissement, il s’est infiltré par le bas avec le soutien sans faille du Conseil d’État et tient une bonne partie de la France sous son emprise. Dans l’optique de ces adeptes d’une version très simplifiée de la pensée de Keynes, construire des ronds-points ne présente que des avantages. C’est une solution de facilité qui fait plaisir à tout le monde mais qui masque des maux bien français : clientélisme, opportunisme et corporatisme. Les dépenses qui en résultent ne sont en effet pas perdues pour tous les acteurs de l’économie locale et sont faciles à justifier auprès de l’opinion alors même que peu utiles elles font défaut à d’autres investissements à la portée autrement stratégique. Sur le plan communal c’est une solution consensuelle qui traduit un manque notable d’audace et d’imagination. Sur le plan global, la prolifération des ronds-points est le fruit d’une myriade de petites décisions qui minent notre économie. En se conjuguant par milliers, elles imposent leur tyrannie selon un processus bien analysé par le sociologue Thomas Schelling (Micromotives and macrobehavior, 1966) Cet état de fait est une source de faiblesse permanente pour notre pays. De surcroît, la question des ronds-points n’est que la partie la plus visible du problème, le dessus de l’iceberg qui gèle les initiatives privées. Ce sont en effet les mêmes décideurs qui endettent leurs collectivités en laissant par pur clientélisme s’alourdir à l’excès les charges de personnel. Ce sont les mêmes qui endettent leur collectivité tout en accroissant une pression fiscale étouffante pour les investissements productifs des entreprises. Ce que propose aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon et ses affidés du PS, encore bien implantés localement, c’est la généralisation de ce système inefficace générateur d’endettement et de régression. S’ils devaient obtenir de bons scores aux prochaines élections législatives, notre économie déjà affaiblie court à la catastrophe. Comme l’automobiliste de Devos nous serons tous condamnés à tourner sans fin dans un système liberticide.
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