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25.05.2022 - N° 935 Le casse-tête des informations incohérentes sur le chômage
Par Claude Sicard Claude Sicard est ingénieur agronome, Sciences Po, et docteur en économie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la stratégie d’entreprise : Pratique de la stratégie d’entreprise, Le Manager Stratège et L’audit de Stratégie (Ed Dunod). Après un début de carrière dans l’industrie, a été directeur adjoint du département d’Économie de la CEGOS. Puis, ayant créé son cabinet de Conseil, la société OCS, Consultants, il s’est spécialisé dans les techniques d’analyse stratégique d’entreprises. ![]() Le taux de chômage baisse enfin en France
et les pouvoirs publics ne manquent pas de faire du triomphalisme. Ainsi Bruno Le Maire interviewé le 18 février dernier par Ouest-France, a évoqué avec la plus grande satisfaction une « grande victoire française ».
On lit sur le JDN, un site d’information très suivi : «
Du jamais vu depuis 2008 : le taux de chômage a atteint son plus bas
niveau à 7,3% de la population active au premier trimestre 2022 selon
l’INSEE, contre 7,4 % au trimestre précédent. Le nombre de chômeurs au
sens du BIT s’établit à 2,2 millions de personnes, soit 18 000 chômeurs
en moins sur le trimestre. »
Ce chiffre de 2,2 millions de chômeurs est surprenant car nous avons en tête les statistiques de Pôle Emploi, notre organisme public du chômage qui prend en charge les chômeurs, les aide à retrouver un emploi et les indemnise. En se reportant à ces données on apprend que fin mars 2022, près de 6 millions de personnes étaient inscrites dans ses registres, réparties en plusieurs catégories : A, B et C pour les personnes devant accomplir « des actes positifs de recherche d’emploi », plus les catégories D et E constituées de personnes sans emploi, qui, pour diverses raisons (formation, contrats aidés, proches de la retraite…) n’y sont pas vraiment contraintes. Les chômeurs des catégories A, B et C, donc ceux effectivement contraints de chercher un emploi pour être indemnisés, s’élevaient à 5,2 millions fin mars 2022. La ventilation est la suivante : (divisé par 1000 pour faciliter la lecture)
D’un côté les pouvoirs publics annoncent seulement 2,2 millions de chômeurs ; et de l’autre, leurs registres affichent un peu plus de 5,2 millions de chômeurs officiellement en recherche active d’emploi et indemnisent 3,6 millions de personnes au titre du chômage. D’où proviennent ces écarts considérables ? L’approche du BIT Le chômeur est une personne âgée de plus de 15 ans, sans emploi, disponible pour travailler dans les deux semaines, ayant effectué au cours des 4 dernières semaines une démarche active de recherche d’emploi. La population active comprend les personnes ayant un emploi, additionnée des chômeurs. Les données sont fournies au BIT par l’INSEE qui fait des enquêtes en continu, dites « Enquêtes sur l’emploi, le chômage et l’inactivité ». Ces enquêtes portent sur des personnes de 15 à 89 ans vivant en logement ordinaire (France hors Mayotte) L’approche de Pôle Emploi Catégorie A Personne sans emploi devant accomplir des actes positifs de recherche d’emploi (quel que soit le contrat antérieur). Catégorie B Personne ayant exercé une activité réduite de 78 heures maximum par mois, tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi. Catégorie C Personne ayant exercé une activité réduite de plus de 78 heures par mois, tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi. Catégorie D Personne sans emploi qui n’est pas disponible et pas tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi. Catégorie E Personne pourvue d’un emploi non tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi, (par exemple les bénéficiaires d’un contrat aidé). L’évolution a été la suivante : Mars 2021 Mars 2022 Catégorie A 3544,2 2953,8 Catégorie B 744,7 717,8 Catégorie C 1482,6 1546,7 Catégorie D 400,3 404,6 Catégorie E 335,9 370,4 Total 6507,7 5993,3 Le mystère subsiste pour le grand public : les catégories A, B et C sont bien constituées par des personnes tenues d’effectuer une recherche active de travail, et on ne voit pas à quoi correspond cet incroyable écart entre le chiffre de 2,2 millions de chômeurs au sens du BIT et celui des 5,2 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi en « recherche active d’un emploi ». Une étude INSEE de 2019, intitulée « Les chômeurs au sens BIT et les demandeurs d’emploi de Pôle emploi : une divergence aux causes multiples » s’est penchée sur la question et tente de nous renseigner. Tout d’abord, elle signale que la catégorie A est la plus proche de la définition du chômage du BIT, mais il existe actuellement un écart de 700 000 personnes. L’INSEE évoque ainsi un « halo autour du chômage ». Par exemple, des personnes sont inscrites en catégorie A et ne répondent pas aux critères du BIT, ne respectant pas soit les critères de recherche d’emploi, soit ceux de disponibilité pour prendre un travail. Mais en parcourant toute cette étude on a beaucoup de mal à élucider les raisons réelles de ces énormes divergences, le rapport soulignant par ailleurs, sans en expliquer la cause, que l’écart entre chômeurs BIT et catégorie A s’est considérablement accru entre 2013 et 2017. Le laxisme de Pôle Emploi De l’examen de ce rapport se dégage le sentiment d’un laxisme réel dans la manière d’opérer de notre organisme public. En effet, d’un côté l’lNSEE, qui agit avec rigueur par des enquêtes permanentes (EEC), applique des critères internationaux précis, et de l’autre Pôle Emploi, qui indemnise des chômeurs avec une certaine décontraction. Dans un rapport publié en juillet 2020, la Cour des comptes adresse de sévères critiques à cet organisme public. À propos de ce rapport, le journal Le Monde du 16 juillet 2020 a titré : « Absentéisme, primes, voitures de fonction : la Cour des comptes étrille la gestion des ressources humaines de Pôle emploi ». Dans un numéro de Capital du 11 décembre 2019, l’article de Philippe Robert énoncait : « Pour gruger Pôle Emploi, les faux chômeurs ne reculent devant rien. » Il l’illustrait par de nombreux exemples. Parmi ceux-ci celui de ces jeunes diplômés faisant « une gestion stratégique habile de leurs allocations de chômage. » Certes, ces dernières années les contrôles sont devenus beaucoup plus sévères, avec davantage de contrôleurs, des croisements de fichiers, et la possibilité accordée à cet organisme d’accéder aux comptes bancaires des intéressés. Mais l’auteur de l’article cite une réponse caractéristique d’un employé qu’il interrogeait au sujet des fraudes : « Nous ne souhaitons pas en parler en parallèle du sujet de la fraude, car il s’agit de personnes démotivées qui ont besoin d’être accompagnées. » Au plan financier, l’assurance chômage a coûté la somme de 55,7 milliards d’euros en 2020, année certes exceptionnelle du fait de la crise du Covid-19. Et cette même année, l’UNEDIC a eu un résultat négatif important de 17,4 milliards. En 2021, le déficit a pu être ramené à 9,3 milliards, et cet organisme avait en fin d’année une dette de 63,9 milliards d’euros. En effet, Pôle Emploi est alimenté par les cotisations versées à l’UNEDIC (le 4,05 % patronal sur les salaires) et par des contributions de l’État. Il va donc être temps de s’intéresser à la manière dont les pouvoirs publics vont pouvoir ramener un peu plus de cinq millions de chômeurs actuels des catégories A, B et C figurant dans les registres de Pôle Emploi aux 2,2 millions officiels de chômeurs dont ils s’honorent triomphalement. Certes, tous les chômeurs de ces trois catégories ne sont pas indemnisés, mais 3,6 millions d’entre eux le sont. Il
serait bien que le discours de nos gouvernants s’accorde avec ce que
font les services publics : annoncer triomphalement seulement 2,2
millions de chômeurs alors qu’au titre du chômage, ils sont 3,6
millions à être indemnisés.
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