La Mouette déchainée
                             Réactions, enquêtes, déclarations...

                                 











Toutes les news
c'est ici




Contact


Vos réactions, vos commentaires


Abonner un(e) ami(e)

Vous abonner

Qui sommes nous
?


18.04.2022
- N° 899

Désindustrialisation :
France Stratégie se plante dans ses prédictions

 

Derniers commentaires parus :
A lire ici
Vous aussi, faites nous part de vos commentaires, de vos réactions, de vos témoignages... nous pourrons les publier.
cliquez ici

Par Claude Sicard


Claude Sicard est ingénieur agronome, Sciences Po, et docteur en économie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la stratégie d’entreprise : Pratique de la stratégie d’entreprise, Le Manager Stratège et L’audit de Stratégie (Ed Dunod). Après un début de carrière dans l’industrie, a été directeur adjoint du département d’Économie de la CEGOS. Puis, ayant créé son cabinet de Conseil, la société OCS, Consultants, il s’est spécialisé dans les techniques d’analyse stratégique d’entreprises.



L’étude de France Stratégie a la vertu de démontrer que nous allons droit
dans le mur, ce qui n’était nullement son objet.

France Stratégie, en collaboration avec la Dares, vient de publier un rapport de 200 pages intitulé « Les métiers en 2030 », un très intéressant exercice de prospective fait pour éclairer les pouvoirs publics sur l’évolution des besoins de main-d’œuvre selon les professions.

Cette étude faite à l’attention de tous les organismes chargés de la formation des personnels en vue de leur permettre d’adapter leurs programmes aux besoins du marché nous éclaire, incidemment, sur la façon dont va évoluer notre économie durant les toutes prochaines années. La période couverte va jusqu’en 2030, et c’est là que nous nous apercevons que le pays  court à la catastrophe. En effet, ces travaux réalisés par France Stratégie, l’organisme qui a remplacé ce qu’était autrefois le Haut Commissariat au Plan, montrent où nous conduisent les évolutions en cours si nous ne prenons pas le soin de les corriger.

Ce travail de prospective va être précieux pour éclairer les équipes qui seront au pouvoir demain.

Chiffres et prospectives

Il s’agit de scénarios solidement bâtis, construits à l’aide du modèle NEMESIS du laboratoire ERASME intégrant tous les éléments à prendre en compte dans le cadre des politiques déjà décidées, avec notamment :
  • une baisse pérenne des impôts de production de 10 milliards d’euros par an,
  • une augmentation du télétravail,
  • les mesures déjà arrêtées en faveur de la rénovation énergétique,
  • une réduction des gaz à effet de serre très significative mais inférieure à ce qu’exigerait la trajectoire visant la neutralité carbone à l’horizon 2050,
  • etc.
Tout cela conduit à une France dont la croissance du PIB sera de 1,3 % par an, avec des gains de productivité de 1,1 % par an, en moyenne et un taux de chômage ramené à 7 % en 2030.

Le scénario de référence conduit à la création d’environ un million d’emplois nouveaux d’ici à 2030, avec la ventilation suivante :

Pour un total de 945 000 emplois nouveaux

Bâtiment…………………………………………………  190 000

Services d’aide à la personne, et santé……….   370 000

Services aux entreprises……………………………. 165 000

Commerces, hôtellerie, restauration…………… 175 000

Industrie ………………………………………………….   45 000

Et c’est là que l’on découvre que le chemin sur lequel nous sommes conduit directement dans le mur : selon France Stratégie, l’industrie cesserait certes de perdre des emplois comme elle l’a fait encore ces dernières années, les auteurs de l’étude rappelant que 170 000 emplois ont disparu entre 2009 et 2019, mais seulement 45 000 postes nouveaux seraient créés dans ce secteur (et 65 000 dans le cadre du scenario bas carbone) ; et ce malgré la volonté de « redonner à la France une plus grande autonomie en matière industrielle ».

Cette étude montre que le secteur industriel français en restera à 10 % du PIB : donc, rien de changé dans ce domaine. C’est ce qui est extrêmement préoccupant pour l’avenir du pays.

La France est un pays sinistré du fait de l’affaissement très important de son secteur industriel qui ne contribue plus aujourd’hui que pour 10 %  seulement à la formation du PIB, alors qu’il devrait s’élever à au moins 18 %, sinon 20 %. Elle est le pays aujourd’hui le plus désindustrialisé d’Europe, la  Grèce mise à part, ce qui explique tous les déséquilibres de son économie :
  • taux de chômage anormalement élevé que les pouvoirs publics depuis plus de 20 ans ne parviennent pas à réduire,
  • balance commerciale régulièrement déficitaire et gravement ces dernières années,
  • dépenses sociales records,
  • prélèvements obligatoires atteignant des sommets et devenus les plus élevés de tous les pays de l’OCDE,
  • endettement extérieur en augmentation constante et à un niveau dangereux.
Le redressement du secteur industriel contre la désindustrialisation est vital pour le pays

Depuis la fin des Trente glorieuses, la France n’a cessé de se désindustrialiser, passant d’un peu plus de 6 millions d’emplois dans ce secteur en 1975 à 2,7 millions aujourd’hui.

Quelle que soit leur coloration politique, les dirigeants au pouvoir n’ont pas réagi, se fiant à la loi dite d’évolution des trois secteurs de l’économie de Jean Fourastié qui veut que lorsqu’un pays se développe il passe du secteur primaire, l’agriculture, au secteur secondaire, l’industrie, puis du secteur secondaire au secteur tertiaire, celui des services.

Ainsi les différents gouvernants qui se sont succédé ont-ils trouvé tout naturel que la France se désindustrialise pour en venir à n’avoir plus, finalement, que des activités de service : ils ont confondu les évolutions en termes d’emploi, évoquées par Fourastié, avec celles en termes de valeur ajoutée. À cette époque, la vision du monde était celle de pays en voie de développement en charge des activités industrielles grâce à leur main-d’œuvre abondante, peu chère et corvéable à merci, les pays développés se réservant les tâches nobles qui relèvent d’une société dite de l’intelligence et des services.

On constate combien ces vues étaient théoriques : il est vrai que nous en étions encore à l’ère de la domination de l’Homme blanc sur la planète.

Ce que nos dirigeants n’ont donc pas vu, c’est que la production industrielle est l’élément clé de la richesse d’un pays. Il existe en effet une corrélation très étroite entre la production industrielle d’un pays et le PIB/capita de ses habitants.

Ainsi, avec une production industrielle de 6432 dollars par habitant, la France a un PIB/capita de 39 030 dollars ; avec un ratio de 12 279 dollars, l’Allemagne a un PIB/capita de 46 208 dollars ; avec un ratio record de 22 209 dollars, la Suisse en est à un PIB/capita de 87 097 dollars.

Pour redresser l’économie française il va donc falloir créer de la richesse en se fondant essentiellement sur un secteur industriel à rebâtir complètement. Avec les ratios datant de la période antérieure à la révolution numérique, les seuls à disposition statistiquement, on estime à 1,8 million le nombre d’emplois industriels à créer afin que le secteur secondaire représente 18 % du PIB : les effectifs de ce secteur se monteraient alors à 4,5 millions de personnes, chiffre à comparer à celui de l’Allemagne, dont le secteur industriel est constitué de 6,2 millions de personnes dans les entreprises de plus de 20 salariés.

Comment le pays pourrait-il dans des délais raisonnables permettre la création de 1,8 million d’emplois dans le secteur industriel ? Toutefois, la numérisation, ou troisième révolution industrielle qui s’est développée considérablement ces dernières années, ne rend pas nécessaire la création de 1,8 million d’emplois nouveaux. Mais elle sera en tout cas bien supérieure aux 45 000 postes envisagés par France Stratégie, soit de l’ordre du million de personnes.

Faute de prendre les dispositions indispensables pour relever un tel défi, l’économie française ne parviendra pas à sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve.

Il est donc probable que l’État considérera qu’il ne suffira pas de redevenir compétitifs pour créer un million d’emplois industriels en 10 ou 15 années. Il concevra sans doute des mesures particulières comme des aides à l’investissement afin d’attirer massivement en France les investissements étrangers. Bruxelles évidemment s’y opposera, mais finira sans doute par céder, admettant ainsi que la France est un pays sinistré et surendetté, et que pour rétablir sa situation des dispositions exceptionnelles doivent être temporairement adoptées.

Redresser l’économie du pays est la tâche prioritaire qui attend nos prochains dirigeants. Elle ne pourra se réaliser qu’en redonnant au secteur industriel la place qu’il n’aurait jamais dû quitter dans la formation du PIB. Il ne faut pas se faire d’illusion : relever ce défi va être long et extrêmement difficile.

Il semblerait que les candidats à la prochaine élection présidentielle n’en aient aucunement  conscience. L’étude de France Stratégie a la vertu de démontrer que nous allons droit dans le mur, ce qui n’était nullement son objet.

C’est ce dont nous alertaient déjà il y a quelques années des auteurs comme Elie Cohen dans son ouvrage Le décrochage industriel paru en 2014, ou encore Agnès Verdier-Molinié, avec On va dans le mur paru en 2015.

Faites nous part de vos commentaires, de vos réactions,
de vos témoignages... nous pourrons les publier.

______________









Qui sommes-nous ?

Nous écoutons, nous lisons, nous regardons...

C'est parfois un peu ardu, et les news peuvent demander de l'attention.
Mais elle sont souvent remarquables !


Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion et nourrir celle-ci.
Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici.


Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs,
et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur.

Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation.


Bien sûr, vos commentaires sont très attendus.


   L'équipe de La Mouette déchaînée.