![]() Toutes les news c'est ici Contact
Abonner un(e) ami(e) Vous abonner Qui sommes nous ? |
14.03.2022 - N° 864 La prostitution : sujet oublié de la présidentielle
Par Raphaël Roger Raphaël Roger Devismes est étudiant en droit et membre du Cercle Droit et Liberté. Passionné par le droit, l'économie et la politique, la lecture est pour lui essentielle à la compréhension du monde. ![]() Dans un contexte marqué par des pensées
radicales dont le néoféminisme, l’absence de débat et de discussion
autour de la prostitution paraît surprenant.
Bien que l’on puisse observer ici et là des candidats parlant de la prostitution, dans un contexte marqué par des pensées radicales dont le néoféminisme, l’absence de débat et de discussion autour de la prostitution paraît surprenant. Pourtant, la prostitution et la dignité des personnes prostituées et des travailleurs du sexe ne doit pas être un non-sujet. Brève histoire de la prostitution L’Histoire nous enseigne que la prostitution est aussi vielle que l’humain. En effet, 3000 avant Jésus-Christ en Mésopotamie, on trouve déjà des tablettes décrivant l’activité prostitutionnelle, ses us et coutumes et l’on voit comment étaient traités celles et ceux qui exerçaient ce métier. Bien que marginalisées et méprisées, les prostituées appartenaient à cette culture raffinée, à laquelle seule une élite avait accès. Ce n’est qu’avec Solon, fondateur d’Athènes, que la prostitution va avoir une place bien à elle dans la société Antique. Ainsi, dans les villes athéniennes sont créés des établissements municipaux où argent et sexe se confondent. La prostitution devient même sacrée et se joint à l’hospitalité. Les hommes qui la pratiquent, les hiérodules, en espèrent alors un renforcement de leur vigueur sexuelle, et un renforcement de leur capacité reproductive, car rappelons-le, les hiérodules étaient infertiles ou atteint d’un dysfonctionnement sexuel, et ce dans une société où la fertilité a une place importante. Louis IX, devenu Saint Louis, mettra en place une politique répressive avant de rétropédaler. En effet, son édit de 1254 prévoyait notamment l’exclusion des prostituées, la fermeture de leurs maisons et la vente de leurs biens. Devant les jacqueries provoquées par cet édit, il accepte le retour des prostituées mais loin des villes. Elles s’installeront à l’extérieur, dans des bordes, on les baptisera les bordelières, l’ancêtre du bordel. Au XIXe siècle, la lutte contre la prostitution se poursuit. Bien qu’inefficace, elle contribue à précariser le statut de ces femmes, déjà mis à mal par le statut de la femme dans le Code civil de 1804. Cependant, la lutte ne se fera plus sur le plan pénal mais sur le plan médical. En effet, les prostituées sont régularisées et contrôlées, notamment pour éviter la syphilis. Les systèmes de pensées autour du fait prostitutionnel Trois principales pensées recouvrent la prostitution. Le réglementarisme L’activité est considérée comme légale et sa pratique doit être encadrée, sécurisée, accompagnée dans des lieux dédiés ou non, avec un suivi médical. Il s’agit de considérer la prostituée comme un travailleur à part, avec des droits et des devoirs. Le prohibitionnisme Son objectif est d’éradiquer la prostitution et donc d’incriminer tous ses acteurs. L’abolitionnisme Ce courant a fait l’objet de variations dans le temps. Initialement, il visait la disparition de toutes les réglementations structurant la prostitution, par exemple la suppression des obligations sanitaires. Il se rapproche aujourd’hui du mouvement prohibitionniste. Dès lors, mieux vaut parler des néo-abolitionnistes pour préserver l’abolitionnisme historique. L’arsenal législatif du fait prostitutionnel Depuis 1946 la prostitution a fait l’objet de nombreuses lois. Il convient d’en faire succinctement le tour avant de s’intéresser d’un peu plus près aux acteurs de cette activité. Le 13 avril 1946, la loi de Marthe Richard interdit les maisons closes et vise à les fermer. La lutte contre le proxénétisme est adoptée. Cette loi est très sévère à l’encontre des personnes prostituées. Cette sévérité et son manque de précision la rendront peu appliquée. En 1958, une nouvelle loi vient l’adoucir notamment au sujet du racolage sanctionné d’une simple contravention. À partir de 1975, le racolage passif sera distingué du racolage actif, le premier étant logiquement moins sanctionné que le deuxième. La Loi Sarkozy de 2003 transformera le racolage public en infraction délictuelle et l’infraction contraventionnelle de troisième et cinquième classe disparaîtra. Le proxénétisme étant reconnu depuis l’ordonnance de 1958, les sanctions pénales l’entourant ont évolué, la loi de 2003 précédemment citée a aggravé les sanctions. En 2016, l’infraction de racolage a été abandonnée pour la sanction du client. Dès lors, la prostitution est aujourd’hui dans un entre-deux insécurisant. L’activité est légale mais utiliser les services d’une prostituée ne l’est pas. Brève sociologie du fait prostitutionnel Les personnes prostituées Les personnes prostituées regroupent à la fois des femmes, des hommes et des transsexuels, bien que la majorité des personnes prostituées soient des femmes. Les personnes prostituées déclarent leur revenu au fisc, payent des impôts sur le revenu et les diverses taxes nationales. Il est difficile de calculer le nombre de prostitués en France du fait des différents modes de calculs existants. La Grande-Bretagne a pris en compte toutes les dépenses effectuées par les prostitués pour ensuite en faire une moyenne, arrivant ainsi à 61 000 prostitués. En France, selon certains organismes, ils seraient entre 30 et 40 000. Mais là encore, les modes de calculs sont très différents. La part d’immigrés dans le total de prostitués en Grande-Bretagne s’élève à 9,6 %. En France, cette part est souvent comprise entre 12 à 25 % selon les organismes.1 Trois catégories de prostitués se sont dessinées au fil des années.
La personne prostituée étrangère est loin d’être une victime de la traite, de l’esclavage, de mauvais traitements ou autres. Sans minorer la part des victimes de violences, les prostitués immigrés sont souvent dans la deuxième catégorie, libérés de leur proxénète après avoir payé la dette de passage, dans l’attente d’être régularisés. 82 % seraient des femmes, 15 % des hommes et 3 % des transsexuels. Les proxénètes Le proxénétisme est une activité illégale avec un chiffre d’affaires de 21 milliards d’euros par an dans le monde selon l’OCTREH (Organisme contre la traite des êtres humains). Un proxénète peut être considéré comme un intermédiaire entre le client et la personne prostituée. La sociologie en distingue deux sortes :
La clientèle des personnes prostituées englobe toutes les catégories d’âges, la plus représentée étant celle des 35-55 ans. La part des 18-25 ans clients a augmenté de 15 % entre 2005 et 2010. La part des femmes clientes est de l’ordre de 12 %. Au lieu de chercher la pénalité à tout
prix, il faut réfléchir en termes de service pour offrir aux
travailleurs du sexe un mode de vie digne au lieu de vouloir les
exclure de la société.
![]() Disposer de son corps, un droit encore à conquérir Le fait de disposer de son corps signifie en être le propriétaire, pouvoir en faire ce que l’on souhaite dans les limites de la propriété du corps d’autrui. Ce droit à la libre disposition de son corps a été le combat mené par le féminisme ayant conduit à la loi de 1975 sur l’IVG, qui donne la possibilité aux femmes de mettre un terme à leur grossesse. Pourtant ce combat ne semble pas concerner le fait prostitutionnel et plus généralement les travailleurs du sexe. Comme l’affirme Daniel Borillo, « force est de constater que pour chacun d’entre nous la liberté de disposer de son corps et de sa vie demeure, du point de vue juridique, l’exception ». En effet, sous couvert du concept flou de dignité de la personne humaine, lui porter atteinte peut contrevenir à l’ordre public (cf l’affaire du lancer de nain). En matière de prostitution, le même raisonnement semble s’appliquer. La liberté ne devrait être limitée que si elle affecte négativement les autres individus. Toujours selon Borillo : « la liberté sexuelle implique la possibilité d’entretenir des relations sexuelles avec qui nous souhaitons et dans les conditions convenues avec nos partenaires ». On ne peut qu’être d’accord quand il affirme que « la seule limite à une telle liberté consiste en l’existence de préjudice à autrui ». Dès lors, « ce qui est condamnable ce n’est pas la prostitution mais les circonstances souvent dégradantes dans lesquelles elle s’exerce ». Ainsi, « lorsqu’une femme décide de se prostituer, il ne faut pas l’infantiliser en la traitant comme une victime mais l’aider à conquérir les meilleures conditions de travail ». L’État « devrait garantir à ces travailleurs et travailleuses les mêmes conditions par l’application du droit commun (droits sociaux, droits sanitaires, sécurité, hygiène…) ». Il convient aussi d’abandonner le préjugé selon lequel la personne prostituée vend son corps. En réalité, elle fournit un service avec son corps, ce qui est totalement différent. Le fait prostitutionnel peut s’apparenter à un contrat. Le fait prostitutionnel comme acte contractuel Analyser le fait prostitutionnel de manière contractuelle est peu commun et permettrait de remettre en cause un grand nombre d’arguments contre la prostitution. Un contrat est un acte juridique bilatéral supposant un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes. Sans cet accord, il n’y a pas de contrat. L’expression de la volonté de deux parties permet la création d’obligations juridiques. Ici, au nom de l’autonomie de la volonté kantienne, la volonté se donne à elle-même sa propre obligation. Le contrat suppose la rencontre d’une offre et d’une acceptation consenties. Cette rencontre forme alors un contrat qui obligera les parties à exécuter leurs obligations contractuelles. Ainsi, en achetant du pain, un contrat implicite se forme entre le vendeur et le client. Dès lors que la baguette est sur la table, le client la paie. S’il ne le fait pas, il rompt ce contrat et sa responsabilité est engagée. Le fait prostitutionnel relève du même principe. L’offre est très souvent du côté du travailleur du sexe qui propose un prix fixe ou variable contre un ensemble de prestations. C’est le client qui donne ou pas son accord. Aujourd’hui, cette rencontre des volontés se fait très souvent via internet ou un appel téléphonique. Dès lors que ce contrat est formé, chacun doit exécuter ses obligations. Le consentement de l’un et de l’autre ne doit pas être vicié. Ici, le vice du consentement peut être élargi à l’ensemble de la relation contractuelle. Dès lors que le travailleur du sexe est blessé dans son rapport contractuel, notamment si le client l’oblige à ce qu’il n’a pas consenti, il est libre de refuser au besoin par la force, il est dans son droit. Mais si le consentement est librement donné, les obligations contractuelles exécutées avec respect et si aucun tiers n’a été atteint dans ses droits, il n’y a aucune raison d’interdire une telle pratique. Selon Walter Block, on pourrait d’ailleurs affirmer que tout ce qui touche de près ou de loin à l’activité sexuelle pourrait s’apparenter à de la prostitution, car nous payons toujours les relations sexuelles.1 Les conséquences néfastes de la loi de 2016 Le législateur de 2016 s’est beaucoup appuyé sur l’exemple de la Suède. Pourtant, loin d’être une réussite, le modèle suédois a montré de nombreux effets néfastes. En effet, en instaurant la pénalisation du client la loi a eu pour conséquences des violences accrues, un accès plus difficile à la prévention, aux soins médicaux, à la diminution des conditions d’hygiène, une soumission plus forte aux réseaux, des pratiques sexuelles plus risquées. Et cela n’a en aucun cas réduit la prostitution. Et ce n’est pas non plus en considérant le client comme un malade que l’on résoudra la question de la prostitution. En effet, comme l’affirme Janine Mossuz-Lavau : "On annonce la suppression du délit de
racolage public ce qui signifie en clair : nous rayons de la carte ce
délit, la police ne viendra plus vous embêter. Mais les clients
n’auront plus le droit de vous approcher, donc vous aurez le droit de
vendre en paix des services sexuels mais les acheteurs potentiels
seront passibles d’amendes s’ils tentent de les acheter."
Comment les policiers pourraient contrôler toute cette clientèle ? Comme l’a démontré l’enquête de la chercheuse Hélène Le Bail, "La loi sur la prostitution met en
difficulté les personnes
qu’elle était censée protéger mieux." Cette loi a entraîné une dégradation importante des conditions de vie déjà très précaires des personnes prostituées (des femmes dans 85 % des cas) : diminution des revenus, difficultés de logement, pour se nourrir, etc. Les clients qui respectent les règles établies au départ se raréfient et les mauvais prolifèrent. Alors au lieu de chercher la pénalité à tout prix, il faut réfléchir en termes de service pour offrir aux travailleurs du sexe un mode de vie digne au lieu de vouloir les exclure de la société. Il faut donc abolir toute réglementation en
matière de prostitution
et protéger contre la traite et le travail forcé. 1. Walter Block, Défendre les indéfendables, Les Belles Lettres
______________
|
||||
Qui
sommes-nous ? Nous écoutons, nous lisons, nous regardons... C'est parfois un peu ardu, et les news peuvent demander de l'attention. Mais elle sont souvent remarquables ! Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion et nourrir celle-ci. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Nous ne sommes nullement engagés par les propos que l'auteur aurait pu tenir par ailleurs, et encore moins par ceux qu'il pourrait tenir dans le futur. Merci cependant de nous signaler par le formulaire de contact toute information concernant l'auteur qui pourrait nuire à sa réputation. Bien sûr, vos commentaires sont très attendus. ![]() |