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15.02.2022 - N° 837
Pourquoi la situation des EHPAD n’est pas près de s’améliorer
Par Yves Montenay Polyglotte, Yves Montenay est doté d'une riche carrière internationale nord-sud de cadre, conseil et chef d'entreprise. Démographe de formation, passionné d’histoire, d’économie et de géopolitique il est actuellement écrivain, consultant et enseignant. Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations nord-sud, notamment le Mythe du fossé Nord Sud, ainsi que Nos voisins musulmans, il publie également Les Echos du monde musulman, une revue hebdomadaire de la presse orientale et parfois occidentale sur le monde musulman, avec une priorité donnée à l'humanisation des récits. ![]() L’affaire
Orpea ne doit pas occulter l’essentiel : la situation de maltraitance
dans
certains EPHAD est moins liée au caractère public ou privé de leur gestion qu’au problème démographique général. Vous avez probablement suivi le dossier Orpéa suite la parution du livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet et le fracas médiatique qui se poursuit avec la récente mise en cause de son concurrent Korian, leader en France des EHPAD privés1. La maltraitance des personnes âgées en établissement est un sujet connu de beaucoup de Français pour des raisons familiales, mais bizarrement peu débattu jusqu’à présent. Je crains que les postures idéologiques « anti-secteur privé » n’occultent les données démographiques et ne compliquent encore l’analyse de la situation. En effet, la dénonciation médiatique insiste sur le fait que Orpéa est une société privée, cherchant à faire du profit sur la maltraitance des vieux. C’est se tromper de problème. Dénoncer les EHPAD privés occulte les vrais problèmes D’abord il faut rappeler dans quel état épouvantable étaient ces établissements publics quand nos gouvernants ont appelé le privé au secours. Les gouvernements étaient dans l’incapacité financière d’investir dans suffisamment de nouveaux bâtiments et d’assurer le bien-être d’un nombre suffisant de vieillards diminués, alors que les prévisions démographiques annonçaient une hausse rapide des besoins. Le privé a fait la moitié du travail, en construisant de bien meilleurs bâtiments, du fait de sa puissance financière et en faisant appel aux épargnants, encouragés à financer des chambres moyennant un loyer intéressant. C’est ainsi que l’on a mis un terme par exemple aux six personnes par chambre, dont j’entendais parler il y a quelques décennies, comme l’a rappelé Le Figaro récemment. Le privé a ainsi permis d’accueillir 25 % des personnes très âgées, et dans de meilleurs bâtiments. Certes, c’est plus cher, mais l’expérience montre qu’il y a eu la demande correspondante en face. Reste l’autre moitié du problème : les soins… ou le manque de soins. Parmi les 900 réclamations reçues ces 6 dernières années par les défenseurs des droits, 45 % concernent un EHPAD public, 30 % un EHPAD à but non lucratif et 25 % un EHPAD privé à but lucratif. Ce qui correspond exactement à leur part de marché relative, vu la répartition des places en EHPAD en France : 45% Publics, 31% associatifs et 24% privés (source Panorama des EHPAD en France de Uni Santé). ![]() Panorama des EHPAD en France (2021) Source
Uni Santé
Les soins médicaux sont suivis par les agences régionales de santé (ARS) en régions. Si ces dernières font bien leur travail, les soins sont de qualité analogue à celle du public, ce qui est illustré par des réclamations de même niveau. En réalité, la qualité des soins dans le public comme dans le privé reste insuffisante en France pour la raison que nous allons voir ci-après : le problème n’est pas dans le statut public ou privé des EHPAD concernés mais dans la démographie française. Les données démographiques sont têtues Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut davantage de soignants2 mais on retombe sur le problème que je soulevais dans mon article récent : « On manque de bras et de cerveaux : où sont-ils ? » Pour avoir davantage de soignants mais aussi d’enseignants, de juges, d’informaticiens etc. il faudrait pouvoir ajouter plusieurs millions d’actifs à la population française, ce qui est extrêmement difficile pour des raisons politiques et temporelles : il faut par exemple 20 à 65 ans pour voir les effets sur la population active d’une politique nataliste… si elle est efficace, ce dont il y a peu d’exemples dans l’histoire, comme l’illustre l’échec de la Chine dans ce domaine. Si on a raison de dire que l’analyse démographique amène à prévoir de plus en plus de vieillards diminués à soigner, on oublie que la même analyse démographique montre qu’il n’est mathématiquement pas possible de les encadrer suffisamment. Premier problème démographique. Ce problème est aggravé par la forme de la pyramide des âges française : si nous étions heureux du baby-boom de 1945-73 qui a probablement sauvé la France de la disparition, il est normal que nous en payions le prix, en nous occupant maintenant de la vieillesse de ceux qui ont sauvé le pays. Non seulement ils ont gonflé le haut de la pyramide des âges, mais leurs enfants ont rétréci son milieu en diminuant leur fécondité et l’on pourrait aussi évoquer la responsabilité de certains gouvernements qui ont grignoté les dispositions natalistes de la Libération. Il y a donc aujourd’hui relativement moins d’actifs pour s’occuper de tout et notamment des vieux. Le maintien à domicile pourrait-il être la solution ? Notre gouvernement cherche une autre solution : le maintien à domicile. Il est souhaité par les intéressés et il est conseillé par les médecins. Mais on se heurte là aussi à la démographie : combien d’infirmières ou d’aides-soignantes faudra-t-il pour cela ? S’il s’agit d’aider ou de soigner deux heures par jour, c’est possible, mais ça ne soulagera pas les EHPAD qui sont destinés à un public plus diminué. La France est l’un des pays européens qui compte la proportion la plus élevée de personnes âgées en EHPAD (8,8 % des 75 ans et plus). Près de 7600 EHPAD accueillent plus de 600 000 personnes âgées en perte d’autonomie ou handicapées qui sont majoritairement des personnes en situation de vulnérabilité :
Pour cette catégorie qui a besoin d’une assistance 24 heures sur 24 à domicile, il faudrait 7 infirmières par personne, c’est-à-dire au moins 20 fois plus que dans les EHPAD, où un soignant s’occupe de plusieurs personnes ! Cela explique pourquoi une partie de ce travail est prise en charge par la famille, et l’aide que notre gouvernement a commencé à apporter aux aidants. Encore faut-il qu’il y ait une famille disponible, ce qui n’est pas le cas général. Il faut donc avoir le courage de constater
que
le problème est insoluble dans le cadre actuel. Regardons ce qui se passe à l’étranger, qui est souvent beaucoup plus menacé que la France puisque la fécondité y a été bien inférieure depuis longtemps. Que peut-on retenir des exemples étrangers ? D’abord pas grand-chose pour l’instant, puisque dans la plupart des pays concernés le problème n’est pas encore traité, et, en attendant, ce sont les familles qui supportent le choc… comme cela a toujours été le cas dans les pays pauvres. Si cette solution familiale est éternelle, elle sera de plus en plus difficile. En effet le modèle familial mondial est de moins en moins celui des grandes familles africaines avec deux ou trois vieux pris en charge par une foule de descendants. La taille des familles diminue partout dans le monde. C’est en train de devenir insupportable en Chine du fait de la politique de l’enfant unique qui vient juste de prendre fin, sans d’ailleurs parvenir à faire remonter la fécondité : deux parents doivent nourrir un ou deux enfants, quatre grands-parents et de un à huit arrière-grands-parents ! Et qu’on ne dise pas que l’on va remplacer l’action des familles par des retraites ou des subventions. Financièrement c’est donner à la main gauche l’argent qu’on a pris à la main droite, et démographiquement ça ne change rien ! Un exemple intéressant est celui du Japon, pays ayant un niveau de vie et de modernité voisin du nôtre. Il n’y a pas de solution miracle mais il y a trois palliatifs :
En France, une partie du choc a été résolue par l’immigration : dans quel état seraient nos anciens aujourd’hui s’il n’y avait pas les aides-soignantes et autres personnels indispensables des premières, deuxième et troisième génération d’immigrés ? Vous reconnaissez ici ce que je prêche depuis toujours sur les retraites, mais le problème est encore plus aigu : un retraité peut vivre plus chichement sans drame, mais pour des anciens, on est déjà tombé trop bas ! Dans les crèches, il existe un ratio obligatoire de professionnels pour encadrer les enfants, y compris dans le secteur privé. Rien de tel dans les EHPAD. Déjà la démographie limite le développement des crèches et autres structures d’accueil des jeunes. C’est encore pire pour ceux des anciens. Mais, jusqu’à aujourd’hui, le grand public avait la tête ailleurs : la presse regorge de préoccupations sur les jeunes : ils ont du mal à trouver un emploi (la réforme de l’apprentissage atténue le problème), ils n’ont pas pu aller en boîte pendant de nombreux mois, ils sont affolés par la menace environnementale etc. Je me suis fait engueuler par de nombreux amis en disant qu’une bonne partie des pays européens refusant encore plus que nous l’immigration aujourd’hui tout en ayant encore moins d’adultes que nous, seraient obligés d’accepter bientôt l’immigration qu’ils refusent aujourd’hui. Cela alors qu’ils auront moins d’adultes pour l’encadrer, l’intégrer puis l’assimiler. Bref que les populistes les poussent au suicide sous prétexte de les sauver ! Cela n’empêche pas d’être très ferme envers les nouveaux venus, et de ne pas les présenter comme des victimes du colonialisme, du racisme, du capitalisme etc. Ce sont des gens qui profitent d’une opportunité démographique, le déclin de l’Europe et de bien d’autres pays, pour améliorer considérablement leur niveau de vie. Un mot maintenant pour les écologistes qui prônent la décroissance de la population par une très stricte limitation des naissances. On voit bien que ça ne ferait qu’aggraver le problème… Ou alors il faut diminuer la population en supprimant les vieux ! Il y a maintenant 20 ans, dans ma conclusion d’un livre sur ce sujet, j’imaginais un président chinois autoritaire (qui est apparu entretemps !) demandant aux plus de 75 ans de se jeter par la fenêtre pour le bien du pays. Bref il n’y a pas de solution miracle, mais arrêtons de compliquer le problème par une idéologie opposant public et privé, peur ou victimisation de l’immigration ! Et analysons froidement les données pour
trouver des solutions
au lieu de chercher des boucs émissaires.
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