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27.01.22022 - N° 818

  La crise sanitaire a attisé la haine de la liberté

 

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Par Frédéric Mas


Frédéric Mas est journaliste. Après des études de droit et de sciences politiques,
il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).
Il s'intéresse en particulier à la politique internationale, aux théories économiques
 contemporaines et à la vie des idées.



Pour Mathieu Slama,
« les populations du monde entier ont été les complices de leur enfermement ».

Dans son dernier essai intitulé Adieu la liberté, l’essayiste Mathieu Slama observe que si l’État n’avait pas contraint les citoyens aux mesures sanitaires les plus liberticides, ce sont les citoyens eux-mêmes qui s’en seraient chargés, tant la panique qui s’est emparée des esprits était générale. Les confinements, couvre-feux, attestations dérogatoires, masques obligatoires et autres restrictions n’ont fait l’objet d’aucune vraie protestation en France. Nos voisins ne firent guère mieux. Une étude portant sur une dizaine de pays citée par l’auteur estime à 73 % la part de population qui considérait les restrictions aux libertés comme « totalement raisonnables et appropriées ».

Pour Mathieu Slama, « les populations du monde entier ont été les complices de leur enfermement ».

Seulement, en France, une partie de la population a mis un zèle particulier à encourager la répression sanitaire, que ce soit par la dénonciation, l’appel à davantage de contrôles policiers ou d’intervention étatique, au point que l’auteur se demande si la crise n’avait pas réveillé chez les Français « une passion pour l’enfermement en même temps qu’une haine profonde pour la liberté ».

Plutôt que de résister aux mesures iniques et disproportionnées, le peuple dans sa majorité a préféré concentrer sa colère sur ceux qui ne respectaient pas les règles, oubliant la liberté elle-même au passage. Au pire de la crise, lors du premier confinement, un syndicat de police estimait que 70 % des appels reçus visaient à dénoncer les personnes qui ne respectaient pas l’enfermement…

Les élites ont aussi trahi

Le peuple a trahi la liberté, mais ses élites ne s’en tirent pas beaucoup mieux, toujours selon Mathieu Slama :

« La trahison des politiques a été totale. Certains ne se sont pas contentés de suivre servilement les consignes du gouvernement ; ils ont aussi fait preuve d’un zèle particulièrement inventif pour renforcer l’arsenal liberticide de l’état d’urgence ».

De gauche à droite, les politiciens, au même titre que les intellectuels et les journalistes, se sont empressés de suivre le nouvel agenda sanitaire, y compris parmi les théoriciens « critiques » chéris par la gauche de la gauche, ou les experts « libéraux » de plateau.

Mathieu Slama insiste particulièrement sur la trahison de la gauche qu’il décrit de manière assez étonnante comme une championne traditionnelle de la liberté. Alors que la droite est prête à sacrifier la liberté au nom de la sécurité, la gauche « a toujours considéré que la défense des libertés publiques était son pré carré, en particulier lorsqu’il s’agissait de lutter contre les dérives d’un pouvoir autoritaire. » Il semblerait que l’auteur, qui ne cache pas son engagement de républicain de gauche, se trompe de siècle. Il imagine que le progressisme d’aujourd’hui ressemble à celui d’hier.

La première partie du XIXe siècle a en effet vu l’émergence d’une gauche libérale1 contre la droite contre-révolutionnaire. Attachée à la liberté d’expression, à la limitation de l’arbitraire et la libre entreprise, elle est reléguée au second plan à partir de 1848 et s’agrège à celles jacobine, collectiviste et libertaire.

Plus généralement, si la droite sacrifie régulièrement la liberté au nom de la sécurité, la gauche lui emboite régulièrement le pas au nom de l’égalité. C’est au nom de l’égalité que le communisme, la social-démocratie et les différentes variétés d’État providence se sont imposés au cours du XXe siècle, réduisant au passage l’exercice des libertés individuelles au nom de la planification politique et économique.

Une défiance ancienne pour la liberté

Si gauche libérale il y a eu, il ne faut toutefois pas en exagérer l’importance, tant tout le paysage politique français, de droite comme de gauche, est marqué depuis des siècles par la défiance envers la liberté et une nette préférence pour l’égalité2.

Parmi les intellectuels qui ont trahi, Mathieu Slama évoque « l’incroyable faillite des libéraux ».

La plupart d’entre eux ont soutenu confinements, restrictions des libertés et pass sanitaire :

« Les libéraux, jadis soucieux des libertés individuelles, ont répété comme un seul homme le même mantra « Pas de liberté sans responsabilité ». […] Les mêmes qui crient à l’étatisme lorsque des règles plus restrictives sont appliquées aux entreprises n’ont rien trouvé à redire aux privations de liberté imposées aux citoyens français. »

Pour l’essayiste, en cela lecteur de Michel Foucault, c’est que le libéralisme est par nature autoritaire et disciplinaire car il serait un « pouvoir organisateur de libertés ».

Et c’est là que la lecture proposée par Slama suscite plusieurs remarques critiques.

Première remarque : pour contester les atteintes à la liberté et à la démocratie, Mathieu Slama reprend tout naturellement l’idiome politique forgé par les libéraux à travers les siècles pour combattre l’arbitraire du pouvoir3. En d’autres termes, l’auteur puise dans le lexique politique de la tradition intellectuelle libérale pour formuler sa critique, tout en cherchant à l’intégrer à une réflexion plus globale anticapitaliste et antilibérale, ce qui entraîne nécessairement certaines confusions.

La disparition de l’État de droit, l’impuissance du constitutionnalisme à protéger les libertés, la disparition des contre-pouvoirs et la défense de l’individu sont autant de thèmes qui sont en fait le pré carré des libéraux authentiques, de Montesquieu à Hayek.

Des libéraux insuffisamment libéraux

En d’autres termes, si faillite des libéraux il y a eu, c’est d’avoir été insuffisamment libéraux, et par certains aspects essentiels de son argumentation le discours de Mathieu Slama nous en rappelle les fondements véritables. La grille de lecture anticapitaliste qu’il lui ajoute ne permet pas de rendre compte de l’accélération étatiste et bureaucratique opérée par la crise sanitaire, et lui fait reprendre certains poncifs anti-libéraux affaiblissant son analyse.

Deuxième remarque : Mathieu Slama sous-estime l’illibéralisme dominant au sein du pays, qui rend la pensée libérale marginale et mal connue, y compris pour des esprits qui cherchent à en explorer les subtilités. Ajoutons à cela un travers qu’Eugénie Bastié avait très bien perçu dans son essai La Guerre des idées : enquête au cœur de l’intelligentsia française : les libéraux français ont tendance à être davantage des experts que des intellectuels, et donc à compartimenter leurs compétences en fonction de leurs intérêts.

En cherchant à peser dans le débat public en se concentrant uniquement sur des questions économiques, certains en ont oublié (momentanément on l’espère) les fondations institutionnelles, à savoir la « structure de la liberté » (Randy Barnett) à l’origine de la prospérité.

Malgré ces remarques, la voix de Mathieu Slama mérite d’être écoutée
et discutée car elle fait partie des rares critiques du nouveau régime sanitaire
à avoir pointé l’absurde guerre contre la liberté individuelle
qu’il est en train de mener.


  1. Mathieu Slama, Adieu la liberté, Les presses de la Cité, 2022, 271 pages.
  2. Jacques Julliard, Les gauches françaises 1762-2021, Flammarion, 2012 p.534. ↩
  3. Jean-Philippe Feldman, Exception Française. Histoire d’une société bloquée, de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob, 2020. ↩
  4. Michael Oakeshott : ‘Talking politics’ in Rationalism in Politics and other essays, Liberty Fund.
 
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