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22.01.22022 - N° 813

  On manque de bras et de cerveaux, où sont-ils ?

 

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Par Yves Montenay


Polyglotte, Yves Montenay est doté d'une riche carrière internationale nord-sud de cadre, conseil et chef d'entreprise. Démographe de formation, passionné d’histoire, d’économie et de géopolitique il est actuellement écrivain, consultant et enseignant.
Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations nord-sud, notamment le Mythe du fossé Nord Sud, ainsi que Nos voisins musulmans, il publie également
Les Echos du monde musulman, une revue hebdomadaire de la presse orientale
et parfois occidentale sur le monde musulman,
avec une priorité donnée à l'humanisation des récits.




La pénurie de personnel n'est pas une question d'argent mais d'humains.
Il faut retarder l'âge de la retraite et augmenter la productivité.

En France, il faut davantage d’enseignants, il faut davantage de juges, il faut davantage de policiers, il faut davantage d’informaticiens, davantage de plombiers et on pourrait allonger la liste…

Et cela pour d’excellentes raisons que nous allons rappeler, car des problèmes à résoudre sont très importants. Mais ces revendications se terminent par des demandes de moyens financiers… alors que la question n’est pas là.

Les raisons de recruter sont excellentes

Il n’y a pas assez de profs ? C’est vrai, il y a encore des classes surchargées, des absences dues à la pandémie et pas assez de remplaçants. Une partie des élèves souhaite passer dans le privé, mais le nombre d’enseignants y est limité par la fameuse règle des 80/20 : une ouverture de poste dans le privé pour quatre dans le public.

Il n’y a pas assez de policiers : une partie de la population a peur et ne se sent pas protégée, d’où la demande aux maires de création de police municipale, ce qui se fait de plus en plus.

Il n’y a pas assez de juges, de greffiers etc. : la justice prend du retard et certains verdicts arrivent avec deux ans de retard.

Il n’y a pas assez de médecins, ni de soignants à tous les niveaux : dès qu’un virus pointe son nez, il faut demander aux collègues de renoncer aux vacances, de faire des heures supplémentaires, et rappeler les retraités.

Sans les médecins maghrébins, roumains, et j’en oublie, notre hôpital ne fonctionnerait pas. Idem pour les infirmiers et les infirmières s’il n’y avait pas « la deuxième génération ». Pour des soins importants mais pas urgents ni immédiatement vitaux, il faut attendre des semaines ou des mois pour décrocher un rendez-vous.

Un candidat à la présidentielle vient de proclamer qu’il fera ouvrir 500 000 places dans les crèches. Pour cela encore faudrait-il trouver plus de 100 000 personnes pour les encadrer…

Il n’y a pas assez d’informaticiens : les besoins en protection explosent face aux pirates de l’Internet, au déploiement de la 5G, à la numérisation accélérée de l’administration, au besoin de perfectionner les algorithmes pour éviter que des internautes « se montent le bourrichon » dans les groupes d’extrême droite, d’extrême gauche, d’antivax, de complotistes…

Donc tout le monde demande « des créations de postes », c’est-à-dire de l’argent.

Il en va de même en dehors du monde salarial : il n’y a pas assez de plombiers, de peintres, de carreleurs, d’artisans en tous genres. Tous les travaux prennent du retard.

Ce dernier exemple illustre que ce n’est pas une question d’argent.

Ce sont les hommes qui manquent

On n’y arrive pas, tout simplement, parce que les personnes recherchées n’existent pas.

La population active française compte un peu plus de 30 millions de personnes, inclus les 3 millions de chômeurs, ce qui est peu pour une population d’environ 68 millions.

Ce chiffre ne comprend pas les étudiants, les femmes préférant rester au foyer et les individus frappés par des problèmes de santé. Ce sont donc les 27 millions de personnes employées qui doivent faire vivre, non seulement elles-mêmes, mais environ 41 millions de retraités, d’enfants et d’autres non travailleurs. C’est une première raison du manque de bras et de cerveaux.

Comme nous allons le voir, on peut grignoter quelques travailleurs supplémentaires, mais nous serons toujours très loin des quelques millions qui sont le total des besoins évoqués plus haut. Sauf à faire quelques petites révolutions qui seront très mal vues et risquent de coûter cher et leur poste aux élus téméraires qui se lanceraient.

Où trouver ces bras et ces cerveaux qui manquent ?

Pour commencer, il ne faut pas trop compter sur les chômeurs.

Mettre les chômeurs au travail ?

C’est l’argument le plus fréquent : on ne manque pas de personnel puisqu’il y a trois millions de chômeurs.

Je suis un ancien chef d’entreprise et j’ai souvent utilisé l’ANPE, aujourd’hui Pôle emploi. Il est très difficile d’y trouver un employé : soit il habite loin et ne veut pas déménager, parfois parce que son mari ou sa femme a un emploi sur place, soit il est très loin du profil demandé. Je me souviens m’être vu proposer des quasi-analphabètes pour conduire les poids-lourds et un dépressif profond pour être un financier agile !

Plus généralement, on ne transforme pas un ouvrier de fonderie (problème d’actualité) en médecin ou en directeur financier. En informaticien ? Exceptionnellement oui, pour des postes très simples, mais le plus souvent non, pour des raisons d’âge ou d’allergie à tout ce qui est plus ou moins mathématique. En infirmier ? Là aussi, très exceptionnellement, car il faut quand même une bonne base scientifique.

Et puis il y a des métiers « dont personne ne veut » : pardon pour la formule, mais j’ai entendu d’un spécialiste des EHPAD : « les chômeurs refusent et disent : je ne veux pas torcher les vieux »

Retarder l’âge de la retraite ? Oui !

Un autre réservoir d’actifs beaucoup plus concret serait obtenu en retardant l’âge de la retraite ou en employant des retraités.

Chaque année de travail de plus au-delà de 62 ans ajoute 800 000 personnes en âge de travailler. En soustrayant les femmes désirant rester au foyer et les cas particuliers, disons qu’il y a là environ 600 000 actifs potentiels pour chaque année de recul de l’âge de la retraite à partir de 62 ans.

Il faut y ajouter un gisement de possibles actifs de moins de 62 ans, puisqu’une partie du secteur public prend sa retraite bien avant. Mais la dernière grève de la SNCF montre que ce sera difficile à changer.

Bref, par rapport à l’âge européen de 67 ans vers lequel tendent la plupart des pays, la différence est d’environ 3,5 millions d’actifs supplémentaires potentiels.

Les freins à l’embauche des seniors

Mais, là aussi ce n’est pas simple : les employeurs hésitent à embaucher des seniors, voire même s’en séparent en premier puisqu’ils sont plus chers ou moins formés au numérique et plus généralement aux techniques nouvelles. Longtemps les employeurs français ont demandé et obtenu le financement de retraites anticipées qui ont pesé lourd sur l’économie nationale. C’est en principe maintenant interdit, mais il me semble, à l’occasion de fermeture d’usines, que la tentation n’a pas disparu.

L’exemple suédois
Comparons avec la Suède où la question des retraites a été prise très sérieusement, et où il y a des discussions concrètes entre patronat, syndicats et gouvernement. Précisons que c’est un pays sans coupure idéologique à la française : la gauche n’est pas socialiste, mais social-démocrate, c’est-à-dire économiquement libérale et socialement redistributive, tandis que la syndicalisation touche l’ensemble des salariés ce qui signifie que les troupes syndicales comprennent aussi les libéraux.

Résultat : un âge de départ bientôt à 67 ans, et des employeurs qui veillent à faire évoluer les emplois des 10 dernières années de carrière (moins de pénibilité physique, éventuellement horaires réduits), ce qui permet de garder tout le monde au travail jusque là.

L’immigration ? Un peu

L’immigration peut apporter une partie des bras ou des cerveaux manquants. Elle est déjà largement utilisée, mais imparfaitement puisque le chômage est plus fort chez les immigrés que chez les natifs.

On dit souvent que les immigrés ne sont pas assez qualifiés. C’est oublier d’abord qu’une bonne part de nos soignants et ingénieurs vient du Maghreb et d’ailleurs. En témoignent les excellentes performances des Marocains dans nos grandes écoles.

C’est oublier ensuite qu’on manque également de non-qualifiés pour les innombrables métiers dans lesquels leur formation serait rapide : pas seulement les fameux éboueurs maliens, d’ailleurs moins présents aujourd’hui, mais pour les emplois dans l’hôtellerie, la restauration, le bâtiment, la surveillance… et les nounous, que je cite souvent parce que c’est un métier dont on néglige la grande utilité économique : ce sont elles qui permettent à des mères de famille très qualifiées d’apporter leurs compétences à l’économie nationale !

Cela dit, l’immigration a des limites. Psychologiques d’abord, puisque qu’une partie de la population y est hostile. Et surtout parce qu’il y a une concurrence mondiale : la Terre entière s’arrache non seulement les médecins, mais aussi les femmes de ménage ou les nounous philippines.

Et puis son efficacité est limitée en France du fait d’un accueil indécent, et souvent assorti de l’interdiction de travailler, ce qui renvoie des intéressés à des activités illégales. Il vaudrait mieux organiser la formation à un meilleur français et à la vie concrète dans notre société souvent très différente de celle du pays de départ, et surtout permettre de travailler ! Les succès allemands d’intégration des Syriens ignorant complètement l’allemand et même l’alphabet latin devrait nous montrer que nous ne savons pas nous y prendre !

Par ailleurs, d’un point de vue planétaire, l’immigration n’est pas une solution puisque ceux qui arrivent manquent au pays de départ. Et là, la responsabilité en revient à ce dernier : l’expérience de la Corée du Sud et de la Chine (pour prendre deux systèmes économiques très différents) montre qu’on peut se développer très vite pour peu que le gouvernement soit moyennement sérieux. Mais souvent les gouvernants préfèrent piller le pays que de s’occuper de la scolarisation ou de l’ordre public.

Les médecins malgaches que nous avons en France ont fui leur pays et y manquent cruellement. Les Italiens qui émigrent en Allemagne font de l’Italie un pays de retraités impossibles à nourrir. La logique voudrait que les caisses de retraite allemandes viennent les aider, mais les problèmes allemands sont tellement importants, du fait de leur faible fécondité, que cela paraît impensable aujourd’hui.

Un autre exemple détaillé dans Le Monde daté du 18 janvier est celui de la Roumanie : les Roumains émigrent vers l’Espagne et l’Italie dont les langues sont voisines de la leur. L’Italie se vide au profit de l’Allemagne et a donc besoin de ces Roumains. Le vide ainsi créé en Roumanie est comblé par une immigration mondiale indienne, pakistanaise, philippine…

La formation ?

La formation est bien sûr une piste logique pour pallier le manque de cerveaux. Le gouvernement a d’ailleurs lancé en septembre un plan ambitieux en la matière : 1,4 milliard pour former les chômeurs et faire monter les salariés en qualification.

C’est excellent, mais ne change pas de problème de base : un salarié qui monte en qualification laisse souvent un vide à son ancien poste. Théoriquement un chômeur formé pourrait remplir ce vide. Ce serait un progrès, mais ce que nous avons vu sur les chômeurs amène à penser que l’impact sera limité à quelques dizaines de milliers de personnes… J’espère me tromper.

Et puis cela nous mène au problème redoutable et insoluble politiquement à court terme : la baisse de niveau de la formation scolaire et l’inadéquation à l’emploi d’une partie des diplômés de l’enseignement supérieur. Ce problème est trop vaste pour être traité ici mais il me paraît fondamental.

En tout cas, tout effort dans ce domaine est louable, et par exemple l’action semble-t-il couronnée de succès du développement de l’apprentissage : autour de 700 000 contrats en 2021 après 495 000 en 2020 contre moins de 300 000 les années précédentes. Mais attention, ce n’est pas un gain net puisqu’une partie des nouveaux apprentis sont par exemple des élèves de grandes écoles, ce qui est excellent, mais ne crée pas un cerveau de plus. En fait le gain net sera la diminution du chômage due à cet accroissement d’apprentissage, mais est-ce calculable ?

En résumé, quelques pistes encourageantes mais qui ne donneront pas les millions de personnes nécessaires à court ni même à moyen terme.

La productivité, un remède mal vu

Si les besoins massifs en main-d’œuvre (je dirais plutôt les rêves, étant donné le décalage avec la réalité) ne pourront être couverts que marginalement, reste la solution d’augmenter la productivité de chacun. Parler formation et apprentissage vous a mis sur la piste : une solution au manque de bras et de cerveaux est évidemment que chacun produise davantage.

Je me souviens d’une réunion entre parlementaires et syndicats patronaux et ouvriers sur les retraites, où j’avais été invité en tant que démographe. Pendant la réunion tout le monde était d’accord pour conclure que la seule solution était l’augmentation de la productivité, le recul de l’âge de départ étant exclu par les syndicats présents. Mais cette augmentation de la productivité n’était pas un slogan vendeur pour certains syndicats ouvriers qui avaient tendance à la présenter comme une augmentation de « l’exploitation capitaliste ». Donc lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion, ils préférèrent un thème plus populaire : « le patronat veut voler nos retraites ». C’était il y a plus de 20 ans et je pense que les positions ont évolué, mais je rencontre encore des salariés qui en sont persuadés.

Bien sûr, augmenter la productivité ce n’est pas « faire travailler plus intensément pour augmenter l’exploitation capitaliste ». C’est appuyer les travailleurs actuels par des machines davantage perfectionnées ou des logiciels et en encourageant la mobilité pour que chacun puisse accéder à un autre métier plus utile et donc, en principe, mieux payé.

Réussir cela est un travail d’ingénieurs et d’organisateurs et les politiques n’y peuvent pas grand-chose. D’ailleurs la fonction publique et le secteur nationalisé ne sont pas des modèles en l’occurrence (voir le fret SNCF et le gouffre financier qu’est cette entreprise), même si cela commence à bouger avec la numérisation de certaines administrations, dont celle, enfin, de la justice.

Un des grands problèmes est la limitation des tâches bureaucratiques. Les médias nous rappellent actuellement à quel point elles pèsent sur l’activité des médecins et des chercheurs, mais le mal est général. Les ordinateurs devraient pouvoir aider mais en pratique c’est le contraire qui s’est passé : on demande beaucoup plus de renseignements et de rapports qu’auparavant puisque c’est possible avec l’informatique.

Je rappelle que la bureaucratisation est un phénomène naturel très puissant et international qui paralyse largement les pays socialistes.

Dans le privé il est limité par la nécessité : l’entreprise meurt si elle se laisse envahir, et est remplacée par une autre entreprise moins bureaucratique.

Cette menace n’existant pas dans l’administration, chacun ajoute de nouvelles règles, chacune parfaitement logique et donc approuvée, sans se rendre compte que l’ensemble pèse sur le niveau de vie de tous. C’est contre cette dérive que Gaspard Koenig se présente à notre présidentielle. J’espère que les débats qu’il va soulever vont sensibiliser les autres candidats…

En conclusion, la pénurie n’est pas une question d’argent

Nous avons tendance à tout attendre de l’État et notamment qu’il verse des milliards dans l’hôpital, l’école, la justice, la police.

Notre conclusion est que cette distribution d’argent ne résout rien. Ce n’est pas l’argent qui soigne, qui invente des logiciels ou qui produit du pain. Ce sont les hommes. Ils n’existent pas en nombre suffisant pour faire face aux besoins tels qu’ils sont ressentis. Nous avons vu quelques remèdes partiels (formation, immigration…) mais qui ne sont pas suffisants, ne serait-ce que parce qu’ils demandent eux-mêmes des hommes pour les concrétiser !

Reste le recul de l’âge de départ à la retraite, auquel une partie de la population est hostile, et l’augmentation de la productivité par personne, qui est également souvent mal vue. Cette augmentation de la productivité passe en partie par la débureaucratisation. Mon expérience du secteur public montre qu’on se heurte au « ne touchez pas aux avantages acquis » sans se rendre compte que ces derniers pèsent sur votre voisin, et finalement sur soi-même, via les impôts ou la hausse des prix.

Bref il faut revenir à l’analyse des réalités concrètes :

l’économie c’est l’ensemble des hommes au travail et le bénéfice de ce travail réparti le moins mal possible. Ce n’est pas une question d’argent !

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