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14.01.2022 - N° 805

  Non, Éric Zemmour, un remake de l’école d’avant
ne relèvera pas la France

 

Dernier commentaire paru le 14 janvier 2022 de Patcat :
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Par Nelly Guet

Nelly Guet, expert international en éducation, a dirigé des établissements scolaires pendant 22 ans, en France et à l'étranger. Auteur du livre "Virage européen ou mirage républicain? Quel avenir voulons-nous?", publié en 2014.




Plutôt que de remettre des blouses dans les écoles comme le veut Zemmour,
il faudrait réformer en profondeur l'Éducation nationale.


Non, Monsieur Zemmour, un remake de l’école d’avant ne relèvera pas la France économiquement et n’apportera aucune solution à la situation actuelle que vous n’êtes pas le seul à déplorer ! La bataille se joue en effet à l’école : la France s’est fourvoyée, mais pas comme vous l’entendez !

Oui, la France doit viser l’excellence et son école, l’éclosion d’intelligences multiples.

Sachez que vos propositions qui rappellent les incantations sur le « lire, écrire, compter » de certains ministres de l’Éducation – issus du sérail – , qui promettent un ministère de l’Instruction publique et qualifient par conséquent de pédagogisme tout ce qui touche à l’éducation séduiront un grand nombre de parents français, car ils sont exclus depuis des décennies des pouvoirs décisionnels de l’école de leurs enfants, et n’ont le plus souvent pour seule inspiration que leurs souvenirs d’élèves.

Vos propositions plairont non seulement aux parents français, si peu impliqués dans une démarche d’autoévaluation de l’établissement de leurs enfants, si mal préparés à promouvoir le pouvoir local du chef d’établissement. Elles plairont également aux enseignants et aux syndicats enseignants regroupant 12 à 13 % d’entre eux car elles incarnent fort bien la pensée unique à l’œuvre dans le système centralisé que vous ne feriez que renforcer.

Sachez que les professeurs français préfèrent dans leur grande majorité se dégager de leurs obligations éducatrices et sont ravis, depuis des décennies, d’avoir seulement la charge de l’instruction conformément à leur statut obsolète, même si certains ministres ont ajouté toutes sortes de tâches qui donnent un ensemble totalement incohérent, nullement relié à la discipline enseignée.

Avant le « collège unique », seuls 15 % de la population accédait au Baccalauréat et les méthodes que vous rappelez pouvaient alors, tant bien que mal, fonctionner. L’erreur a consisté à ne pas diversifier les formations proposées au collège. Pour réparer cette fatale erreur, il n’est ni besoin d’instituer un examen de passage en sixième, ni besoin d’orienter certains élèves vers des formations courtes, à l’ancienne, de type certificat d’études. Il s’agit de s’inspirer de ce qui se fait de mieux en Europe et dans le monde, car ne vous en déplaise, les Français ont beaucoup à apprendre des meilleurs !

L’exemple de l’étranger

C’est ce que font les Chinois, qui s’emparent des bonnes pratiques, les mettent en œuvre au plus vite et développent parallèlement, à un rythme accéléré, des écoles privées.

En effet, l’école n’est pas là pour endoctriner les enfants, pour promouvoir des idéologies. Le meilleur moyen d’y remédier est de former correctement les enseignants de manière à ce qu’à leur tour ils forment correctement les élèves qui leur sont confiés. Vos « Surgé » convertis après 1968 en CPE n’ont pas lieu d’être. C’est aux enseignants, moyennant un salaire augmenté d’environ 30 %, d’effectuer le travail d’accompagnement des élèves et des familles. C’est le seul moyen de mettre un terme aux maux que vous décrivez.

Vous rêvez comme beaucoup de parents français, comme beaucoup de personnalités politiques françaises, comme beaucoup de médias français, d’une école qui se rapproche de l’école d’avant. Encore faudrait-il que ces protagonistes la connaissent réellement et ne se contentent pas de la fantasmer !

Prenons un exemple : les Écoles normales dont le fonctionnement avant 1981 permettait une formation sur le terrain, en France, mais pas seulement ! J’ai ainsi pu organiser pour mes élèves-institutrices de l’école normale des Batignolles (Paris 17ème), alors âgées d’une vingtaine d’années et même parfois titulaires d’un diplôme universitaire en langue étrangère, un séjour de trois semaines en Allemagne, grâce à un partenariat avec une université pédagogique allemande.

Depuis 1981, l’enseignement précoce en langue étrangère a du plomb dans l’aile, car les intervenants sont le plus souvent insuffisamment formés. Vous voulez supprimer ce que l’on nomme l’enseignement précoce alors que des recherches approfondies montrent que l’entraînement au bilinguisme dès l’âge de 5-7 ans a un effet bénéfique sur le cerveau non seulement en matière d’apprentissage d’une ou plusieurs langues mais permet de développer bien d’autres capacités !

Au lieu du traitement réducteur que vous préconisez, l’école française doit renaître de ses cendres et s’adapter aux exigences du monde de 2022.

Cela passe par différentes mesures si l’on veut remédier aux dégâts importants causés par une centralisation extrême que vous voulez encore renforcer.

À 4 reprises, de 2013 à 2016, j’ai été invitée ainsi que plusieurs experts européens par le ministère de l’Éducation chinois à présenter des recommandations en matière de pilotage d’établissement scolaire, inspirées de pratiques européennes.

À Pékin en 2013, les responsables chinois qui nous accueillaient nous avaient demandé de prendre connaissance, préalablement, d’une expérimentation – décrite sur 300 pages -, intitulée « Love and Creativity », commençant par ce constat :

Une des principales faiblesses de l’enseignement en Chine réside dans le manque de prise en compte de l’individualité des élèves qui provient de l’absence de caractéristiques de nos écoles. Comment une éducation homogène, des administrations scolaires identiques, des objectifs éducatifs stéréotypés, des programmes généralement similaires et des méthodes d’enseignement monotones pourraient nous permettre de développer le caractère unique de nos élèves et leurs intérêts particuliers ?

Ce colloque, réunissant 300 chefs d’établissement chinois, nous a  permis de comprendre la stratégie de l’auteur du projet – un entrepreneur ! –  mais aussi de vérifier sa mise en pratique dans une cité scolaire de 3000 élèves où nous avons séjourné.

Les années suivantes, nous avons pu constater que l’accent était mis sur la création d’écoles privées !

Mettre fin au centralisme dans l’Éducation nationale

Au lieu de renforcer le pouvoir de l’inspection générale en matière d’élaboration de programmes, il est grand temps de comprendre, en France, que le centralisme administratif n’est plus la bonne réponse.

Tels qu’ils sont établis, les programmes constituent un carcan qui explique en partie l’échec du système éducatif français. Les missions de l’inspection générale sont à redéfinir, car l’on ne peut être juge et partie. Cela transformera les pratiques pédagogiques et, entre autres, l’usage des manuels scolaires et le recours aux maisons d’édition.

Réindustrialiser la France implique de comprendre que cela passe nécessairement par une implication de l’entreprise dans le système de formation et ce dès l’école primaire. Innover, développer les talents … c’est entre 10 et 15 ans que filles et garçons découvrent leurs vocations et non à Bac+2 ! Que de rendez-vous manqués ! Nous manquons d’ingénieurs, de médecins mais aucun politique ne semble s’en soucier. Qu’ils soient pro-européens ou pas, tous ignorent ce qui a cours dans tous les pays voisins qui réussissent mieux que nous à relever ce défi : Allemagne, Pays-Bas, pays nordiques, Royaume-Uni et même les pays du Sud et d’Europe centrale qui ont compris les enjeux.

À l’heure de l’intelligence artificielle, la digitalisation modifie en profondeur tous les secteurs d’activité d’un pays et pas seulement les domaines scientifiques et technologiques qui touchent au climat, à la médecine, à l’agriculture, à l’énergie, aux transports…

Qui osera réformer l’école française et enfin voir une connexion et la proclamer entre l’école et l’économie ? On cherchera en vain dans les discours des candidats à la présidentielle deux maître mots : décentralisation et entreprise.

On ne pourra promouvoir différentes formes d’excellence, notamment celle qui passe par l’apprentissage, que si l’on reconnaît – à l’instar de tous les pays qui nous entourent – que les relations école-entreprise ne doivent en aucun cas concerner exclusivement les élèves menacés par l’échec scolaire. Il s’agit de confronter au quotidien les connaissances acquises par les enseignants pendant leur formation et la réalité du monde entrepreneurial, ce qui se fait partout ailleurs dès l’école primaire. Pour ce faire, il faut sortir du carcan que constitue la grille indiciaire et recruter les « bons » enseignants, ceux qui, notamment en Science-Technologie-Ingénierie-Maths – STEM – renouvellent en continu leurs compétences au contact des professionnels et des universitaires.

Faute de quoi nous dériverons  comme le Titanic vers l’iceberg qui mettra fin à l’illusion entretenue depuis 40 ans ! Il sera alors trop tard pour se demander si la blouse est la tenue de rigueur.
 
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