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08.12.2021 - N° 782 Quoi qu’il en coûte : rebelote ? Par Karl Eychenne Karl Eychenne est chercheur chez Oblomov & Bartleby. ![]() OPINION : une nouvelle pandémie nous pend au nez, ou pas. Le monde est suspendu aux tests des experts. En attendant, les autorités imaginent le pire et s’interrogent : peuvent-elles se permettre un nouveau quoi qu’il en coûte ? « La politique du
quoi qu’il en coûte ne coûtera jamais trop cher », ainsi parlait
l’Homme politique alors que la première crise sanitaire plongeait
l’économie française dans l’obscurité. En termes de philosophie morale,
le quoi qu’il en coûte repose sur un impératif catégorique hermétique à
tout calcul de coin de table : il faut sauver tout le monde.
Bien sûr personne n’est dupe, le quoi qu’il en coûte a un coût. D’ailleurs, on sait aujourd’hui ce que le quoi qu’il en coûte a coûté. Mais on sait aussi ce qu’il n’a pas coûté… Tout le débat est là. Il existe une école de pensée qui avance un coût exorbitant du premier quoi qu’il en coûte, et qui récuse d’office toute idée d’un deuxième quoi qu’il en coûte. Et puis il existe une école de pensée qui avance un coût inexistant du premier quoi qu’il en coûte, ne voyant dès lors aucune objection à l’idée d’un deuxième quoi qu’il en coûte. NON, UN DEUXIÈME QUOI QU’IL EN COÛTE N’EST PAS POSSIBLE En moins de deux ans, le ratio de dette sur PIB de la zone euro est passé de 83 % à 102 %, soit une hausse aussi forte que celle observée lors de la crise financière de 2007 – 2010 jusqu’à la crise de la dette souveraine 2010 – 2013. Nous sommes bien au-delà des anachroniques niveaux de 60 % brandis jadis comme un épouvantail par la police de la dette (Commission européenne). Aujourd’hui, nous serions même en faillite virtuelle, compte tenu de l’impossibilité de rembourser cette dette. En effet, les deux moteurs susceptibles de réduire la dette sont grippés. D’abord, l’État ne réussira jamais à réduire les dépenses, sous peine de voir apparaître un nouveau variant de Gilets jaunes. Impossible de réduire les dépenses, impossible de hausser les impôts ; la balance primaire sera au mieux nulle, ce qui sera insuffisant pour réduire la dette. Par ailleurs, la croissance économique ne sera jamais suffisamment élevée pour compenser la remontée des taux d’intérêt qui nous pend au nez. Au mieux la croissance plafonnera à 2 %, pendant que les taux d’intérêt réels (taux moins inflation) remonteront progressivement vers des niveaux plus décents, 2 % par exemple (feu la règle d’or) ; le différentiel croissance/taux sera alors nul, ce qui sera aussi insuffisant pour réduire la dette. Dans ce scénario, le financement d’un nouveau quoi qu’il en coûte est fortement déconseillé. « Les financiers soutiennent l’État, comme
la corde soutient le pendu. »
Montesquieu (encore lui). OUI, UN DEUXIÈME QUOI QU’IL EN COÛTE EST POSSIBLE Aujourd’hui, les conditions financières n’ont jamais été aussi favorables pour émettre de la dette. Les taux d’intérêt de long terme restent proches de 0 % malgré quelques tentatives haussières, et l’inflation est en orbite à près de 4,9 % en zone euro. Nous obtenons alors des taux d’intérêt réels proches de – 5 %, du jamais vu et du pain bénit pour tout emprunteur. Cerise sur le gâteau, la croissance économique a frôlé les 10 % au troisième trimestre (en variation trimestrielle annualisée). La dette est bête, elle fait ce qu’on lui dit : si vous avez une croissance à 10 % et des taux réels à – 5 %, vous faites la différence et vous obtenez une réduction du ratio de dette sur PIB de 15 %, en une année seulement. Bien évidemment, la croissance ne restera pas à 10 %, et les taux réels ne resteront pas à – 5 %. Enfin, tout dépendra également du train de vie de l’État qui très probablement annulera partiellement l’effet favorable du différentiel croissance/taux. Qu’importe, il existe un argument qui l’emporte sur tous : la politique de rachats d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE) financée par de la création de monnaie. Depuis près de 15 ans, la BCE a quasiment financé l’équivalent de l’ensemble de la dette émise par les États : ce que l’on appelle la dette consolidée (États + BCE) n’a finalement pas augmenté ! Certes, aujourd’hui la BCE est plutôt dans une dynamique inverse avec la réduction progressive de ses achats d’actifs, comme la plus part des banques centrales des économies développées. Mais comment imaginer qu’un retour de la crise sanitaire ne réveille pas l’appétit de la BCE pour de la dette ? Selon cette école de pensée, le financement d’un nouveau quoi qu’il en coûte n’est donc pas un problème. « L’argent ? Juste du papier qui sert à
faire des cadeaux »
Johnny Hallyday PIB VS VIE En vérité, ce débat sur le quoi qu’il en coûte tel qu’il vient d’être présenté manque l’essentiel : nous. Nous avons complètement occulté la dimension humaine du problème qui nous est posé. Il faut dire qu’en matière de santé publique, l’économique fait toujours tiquer : un calcul comptable peut vite muer en dilemme moral. Pourtant, l’économie de la santé a l’habitude de traiter le problème, elle utilise depuis longtemps des concepts comme celui de coût (valeur) d’une vie pour avancer dans ses recherches. Précisément, c’est en usant de ces concepts que les économistes (Christian Gollier en tête de gondole) ont pu s’interroger sur l’inaudible arbitrage perte de vie vs perte de PIB durant la crise covid. Pourtant malgré bien des efforts de pédagogie, il faut bien reconnaître que ce type de discours ne passe toujours pas auprès du grand public. Nous gouvernants peuvent-ils se permettre un nouveau quoi qu’il en coûte ? Oui, forcément. Et qu’importe les niveaux de dette déjà atteints, la politique monétaire de la BCE, la croissance économique, les taux d’intérêt. À partir du moment où nos gouvernants ont permis un premier quoi qu’il en coûte, on ne voit pas bien ce qui justifierait de ne pas permettre un deuxième quoi qu’il en coûte… à moins d’avoir entretemps troqué une morale pour une autre, de l’impératif catégorique de Kant à l’utilitarisme sanitaire de Bentham, retourner sa veste pour faire simple. Le fait d’avoir un jour acté un premier
quoi qu’il en coûte a un pouvoir exorbitant, puisqu’il oblige tous les
autres à le suivre.
« On est maître du mot qu’on n’a pas prononcé et esclave de celui qu’on a proféré. », Massa Makan Diabaté
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